INTERVIEW – Figure de la politique libanaise, il est le chef de la communauté druze libanaise et préside le Parti socialiste progressiste (PSP).
Walid Joumblatt analyse la crise économique, politique et morale que traverse son pays. Il refuse de dialoguer avec le leader sunnite et ancien premier ministre, Saad Hariri, qui a démissionné voici un an et entend former un nouveau gouvernement.
LE FIGARO. – Le Liban va mal. Comment expliquez-vous cette dégringolade?
Walid JOUMBLATT. – Nous avons reçu coup sur coup. Nous avons eu la «révolution», la dévaluation de la livre libanaise, la formation d’un nouveau gouvernement après que Saad Hariri a tardé à quitter le pouvoir. Ce gouvernement n’a pas su ou n’a pas voulu négocier sérieusement avec la Banque mondiale et le FMI. Il n’a pas payé les échéances et nous sommes tombés dans une spirale d’effondrement et d’arrêt économique alors que le Liban repose sur les flux financiers avec de l’argent qui vient de l’extérieur. Les milliards qui arrivaient un temps sous le règne Hariri ont été mal dépensés dans un système très corrompu. Qui accuser? La Banque centrale libanaise? Les Finances? C’est un cercle vicieux.
Il y a eu des subterfuges pour appâter l’argent et obtenir des intérêts. Tout le monde en a profité, sans exception. Des petits épargnants jusqu’aux puissants. Pour des raisons internes, le Liban n’est pas parvenu à faire des réformes. Comme celle de l’électricité. Les Français nous ont suppliés de corriger ce secteur essentiel pour qu’il fonctionne correctement, mais ils n’ont pas été entendus. Au centenaire de la création de ce pays par la France, il y a eu l’explosion du port de Beyrouth, qui fut l’un des fleurons de l’Empire ottoman. Le port est parti.
Les propositions d’Emmanuel Macron vous paraissent-elles réalistes?
Emmanuel Macron a bien fait de venir. Il nous a tenu une leçon claire: essayons de régler les problèmes que l’on peut régler, c’est-à-dire les réformes, l’électricité, la recapitalisation des banques. J’accepte ses critiques, bien que je sois un des importants politiciens, mais je ne tiens pas tous les rouages. Après sa visite, certains ont fait les malins. D’autres, qui sont pro-iraniens, jouent sur le temps. Ils misent sur les élections américaines de novembre. Il reste les principaux éléments de l’initiative de Macron, mais qui va les traduire sur le terrain?
Le système clientéliste libanais s’effondre. Peut-il survivre?
Il s’effondre mais en même temps, pour faire des réformes, il faut un minimum de souveraineté sur le pays, ce qui n’est pas le cas. Nous sommes gangrenés par l’économie parallèle et les trafics. L’économie est imbriquée dans celle de la Syrie en guerre. Nous ne contrôlons pas nos frontières, du port aux frontières terrestres. Un exemple: nous consommons 1,2 milliard de dollars de médicaments pour 6 millions d’habitants. C’est trop! Le cartel des importateurs est plus fort que l’État. On le subventionne alors que dans quelques mois il n’y aura plus un dollar dans les réserves de la Banque centrale.
Êtes-vous favorable à une transition politique?
Il n’y a pas de solution de transition politique. Je ne vois pas d’issue. Les chiites, le Hezbollah, les ailes chrétiennes et, dans une moindre mesure, les sunnites ne sont pas pour séparer la religion de l’État. Nous proposons, pour notre part, un Parlement non confessionnel, avec un Sénat confessionnel pour apaiser la bande de curés et de cheikhs.
L’explosion du port est un coup mortel. La monnaie libanaise ne vaut plus rien, les élites s’en vont. Le temps de l’exode est venu
Croyez-vous encore en l’avenir du Liban?
Ce fut un beau pays. Le Liban fut un fleuron de l’édition, de la presse, du pluralisme et de la vie intellectuelle, avec des universités de grande qualité. Nous étions l’hôpital du Proche-Orient mais nos médecins partent en masse. L’explosion du port est un coup mortel. La monnaie libanaise ne vaut plus rien, les élites s’en vont. Le temps de l’exode est venu.
Que pensez-vous de la candidature de Saad Hariri au poste de premier ministre?
Il s’est posé comme le seul candidat, mais selon la Constitution, ce sont les blocs parlementaires qui désignent le candidat et remettent un nom au président de la République. Il prend le problème à l’envers en menant des consultations avec les partis. Il leur demande s’ils sont oui ou non pour le «programme de réformes de Macron». Il dit «Macron c’est moi!», «l’État c’est moi!» Ce sont aux blocs de lui demander quel est son programme. Je ne vais pas le recevoir! Il prétend qu’il va former un gouvernement apolitique, mais lui-même est un chef politique. Les grands ténors ont réservé d’avance leurs ministères, les Finances et peut-être la Santé pour les chiites, l’Intérieur et peut-être les Télécommunications pour les sunnites. Je refuse d’être considéré comme une minorité de second ordre. Il en va de même pour les catholiques, et dans une moindre mesure les grecs-orthodoxes.
Quel regard portez-vous sur le Mouvement du 17 octobre?
Les gens en ont assez, mais les «révolutionnaires» sont entrés dans un cercle vicieux. Ils ont voulu tout abattre. Comment démanteler le système, alors qu’il repose sur le confessionnalisme, et les privilèges des clergés musulmans et chrétiens qui sont les plus forts? Ils ont dit «nous sommes la relève». Très bien, mais très vite sont venus les casseurs et les tiraillements confessionnels au sein du mouvement. Le 17 octobre représente la révolte des prolétaires urbains du Nord et du Sud contre la capitale et le centre-ville et son opulence supposée. Rien n’a été fait pour eux.
Va-t-on vers une normalisation des relations entre le Liban et Israël?
À travers cette négociation, l’Iran envoie un message aux États-Unis et après à Israël. J’ignore combien de temps prendront les discussions pour fixer des frontières maritimes qui se font avec l’accord du Hezbollah. Israël en a besoin, car il est entré dans un axe d’intérêt stratégique pétro-gazier avec Chypre, l’Égypte et la Grèce contre la Turquie. Les Libanais aussi ont besoin de parler, car cela peut nous rapporter des ressources à condition qu’elles soient bien gérées.
Source:© Walid Joumblatt: «Je ne vois pas d’issue» à la crise libanaise
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