
Premier actionnaire du groupe Lagardère via Vivendi, Vincent Bolloré a conclu un accord avec le second, le fonds activiste Amber. Tous deux réclament quatre administrateurs au conseil de surveillance.
Vincent Bolloré a décidé de ne pas laisser Arnaud Lagardère passer des vacances tranquille. Au cœur du mois d’août, celui qui est devenu, par l’intermédiaire de Vivendi, le premier actionnaire du groupe avec 23,5 % du capital a réussi à s’entendre avec le second, le fonds activiste Amber Capital (20 % du capital), avec lequel il avait pourtant croisé le fer en mai.
Ensemble, les deux alliés de circonstance ont annoncé, mardi 11 août, la signature d’un accord pour cinq ans, qui octroie à chacun un droit de préemption dans l’hypothèse où l’autre vendrait ses actions. Surtout, ils s’engagent à voter l’un pour l’autre. En s’unissant, ils demandent la nomination de quatre administrateurs au conseil de surveillance, trois pour Amber Capital et un pour Vivendi.
Que dira Arnaud Lagardère face à cette nouvelle offensive ? Sur le papier, le gérant commandité – ce statut particulier qui le rend indéboulonnable – n’est pas obligé d’obtempérer. Il a pourtant la possibilité de faire coopter des administrateurs, comme il l’avait fait en février en nommant Nicolas Sarkozy et Guillaume Pépy.
Autre possibilité, la tenue d’une assemblée générale où les administrateurs seraient soumis au vote des actionnaires. Selon l’accord adressé à l’AMF, c’est le projet des parties, qui se sont données « 10 jours » pour adresser à Lagardère « une demande écrite amiable de convocation d’une assemblée générale ». Mais le contrôle du groupe n’évoluant pas, il n’y a pas d’obligation formelle de provoquer une réunion. La dernière s’est tenue le 5 mai et a renouvelé en partie le conseil. Le prochain rendez-vous sera probablement programmé en mai 2021
Pour parvenir à leurs fins, Vivendi et Amber Capital envisagent, selon nos informations, de faire valoir leurs droits devant le tribunal de commerce
Arnaud Lagardère peut donc claquer la porte au nez de Vivendi, son ancien allié, et d’Amber, son ennemi de toujours. Pour mémoire, c’est Nicolas Sarkozy qui avait joué les intermédiaires avec l’homme d’affaires breton Vincent Bolloré, afin de le faire venir au capital, lorsque l’héritier de Jean-Luc Lagardère était attaqué par Amber Capital, qui souhaitait le déboulonner. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts, et le premier actionnaire de Vivendi est passé dans le camp ennemi.
Pour parvenir à leurs fins, Vivendi et Amber Capital envisagent, selon nos informations, de faire valoir leurs droits devant le tribunal de commerce. Mardi matin, chez Lagardère on ne faisait aucun commentaires. Le groupe attend que lui parviennent les demandes formelles de Vivendi et Amber Capital.
Officiellement, pour les deux protagonistes, il ne s’agit pas de prendre le contrôle du conseil. Même s’ils forment désormais un bloc de 43,5 %, ils affirment qu’il ne s’agit pas d’une action de concert. Ils n’ont donc pas à lancer une offre publique d’achat (OPA) sur le groupe, comme ils l’ont fait valider par l’Autorité des marchés financiers.
Des résultats catastrophiques
Les deux actionnaires souhaiteraient une meilleure information, alors que les résultats semestriels, pénalisés par la crise liée au Covid-19, étaient catastrophiques. Sur la période janvier-juin, le chiffre d’affaires a baissé de 38 %, à 2,088 milliards d’euros, tandis que le résultat opérationnel est passé d’un gain de 88 millions d’euros à une perte de 218 millions d’euros. Surtout, le groupe a « brûlé plus de 500 millions d’euros de cash », dit-on dans l’un des deux camps ennemi.
Amber Capital a déjà essayé à deux reprises d’avoir des représentants. La première fois, en 2018. La seconde fois, cette année. En mai, il a tenté une sorte de coup d’Etat en voulant révoquer la quasi-totalité du conseil et en faisant nommer des administrateurs indépendants. Cette fois, il prévoit, selon nos informations, de faire nommer des personnalités qui lui seraient rattachées. Joseph Oughourlian, le fondateur d’Amber Capital, souhaite y siéger en personne.
Si Vivendi et Amber Capital prétextent les résultats financiers, ils veulent surtout sortir de la situation de statu quo du groupe. Statu quo facilité par le pacte conclu en mai entre Arnaud Lagardère et Bernard Arnault. L’homme le plus riche d’Europe est censé acheter 25 % du holding personnel du fils de Jean-Luc Lagardère pour 80 millions d’euros, et donc entrer dans la commandite. L’accord annoncé en mai est censé être finalisé fin août ou début septembre. Vincent Bolloré avait déjà dénoncé cette alliance, le 15 juillet, alors que jusque là, chez Vivendi, on assurait que les deux hommes se respectaient, et qu’il ne s’agissait pas de lancer des hostilités contre le fondateur de LVMH. « Cela va se finir dans une guerre entre Bernard Arnault et Vincent Bolloré », analyse une source.
Dette personnelle
Grâce à Bernard Arnault, Arnaud Lagardère a desserré l’étreinte financière liée à sa dette personnelle, et s’est senti moins pressé de faire évoluer la gouvernance de son groupe. Ainsi, certains actionnaires, comme Amber Capital ou la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ne cachent pas vouloir mettre fin à la commandite. Nicolas Sarkozy avait même promis à la CDC que la situation changerait.
Selon nos informations, le banquier de Lagardère, Grégoire Chertok, associé-gérant de Rothschild, avait commencé à tâter le terrain à ce propos en contactant les uns et les autres. Dans l’entourage de Bernard Arnault, on s’attendait à ce qu’il y ait des négociations en ce sens. Mais lors des derniers résultats, Arnaud Lagardère, qui se voit rester encore vingt ans à la tête du groupe qui porte son nom mais dont il ne possède que 7,3 % du capital, a douché tous les espoirs. « J’ai toujours songé à changer la gouvernance. Mais ce n’est pas dans mes projets actuellement, tant que nous avons des actionnaires autour de nous qui ne partagent pas nos idées », a-t-il lancé, en forme de provocation.
Source:© Vivendi et le fonds Amber s’allient face à Arnaud Lagardère
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