REPORTAGE - Le festival de photojournalisme s’est ouvert samedi dans la ville catalane, malgré la crise sanitaire. Et malgré le fossé qui le sépare de son nouveau maire, Louis Aliot, figure du Rassemblement national.
Envoyée spéciale à Perpignan
Il y avait foule, samedi 29 août à 9 heures, sous la voûte aux arcs peints de la salle du couvent des Minimes de Perpignan pour l’inauguration officielle du 32e Festival international du photojournalisme. International d’esprit et de thèmes, comme le veut la tradition de Visa pour l’image, ardent militant du photoreportage, même si ce cru sous pandémie s’est réduit à 20 expositions, contre 25 d’habitude, et à seulement deux lieux où seule la circulation à sens unique était possible (ni hôtel Pams, ni Palais des congrès, ni projections au Campo Santo). Un festival 2020 pas vraiment international par son public. Ni par ses artistes, venus au compte-gouttes, comme l’Américain de Paris, Peter Turnley ou la Néerlandaise Sanne Derks, tant les frontières se sont refermées et ont rendu les voyages aléatoires. Depuis vendredi soir, Perpignan était en vigilance orages et inondations. Les discours de tradition ont donc été rapatriés à l’intérieur de ce couvent de la Contre-Réforme. Signe des temps? Les Minimes, dont l’ordre fut fondé en 1493 par saint François de Paule, étaient aussi appelés «frères de la victoire» depuis 1480.
L’heure était à la confrontation des idées et des hommes, des partis et des clans, des déclarations officielles et des références officieuses sur l’estrade de cet Espace Stanley Greene, du nom du photojournaliste de guerre afro-américain, cinq fois lauréat du World Press Photo, disparu en 2017 à 68 ans. Treize personnes pour représenter tous les échelons de l’État et de sa culture, alignées en chiens de faïence face à un public très local pour marquer cette «édition inédite» sous pandémie. Arrivé tout bronzé de Corse, le président de l’association Visa pour l’image, l’ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, ouvrit le feu par un discours volontairement optimiste, républicain et consensuel sur un «festival qui a résisté à la facilité, celle qui aurait été d’annuler purement et simplement».
«Foi dans l’espoir»
Le 6 mai, Visa a imposé son édition 2020, coûte que coûte: gratuit, il n’est pas soumis aux lois de la billetterie et de la rentabilité, comme les Rencontres d’Arles. Le représentant de la chambre de commerce et d’industrie salua «le courage, la souplesse, la foi dans l’espoir» de ce festival qui a su s’adapter aux temps si mouvants et au remontage express au fil de l’actu. Question d’économie autant que de culture. Visa pour l’image, c’est la valorisation d’une ville à la fin de l’été, un surcroît attendu de tourisme et de consommation. Cet été, ce n’est pas le désert, mais les hôtels et les restaurants qui ont de petits airs modestes avec autant de sièges vacants que hors saison.
Mais le cœur des débats, c’était le nouveau maire de Perpignan, Louis Aliot, membre du Rassemblement national (RN). Il est aussi vice-président de Perpignan Méditerranée Métropole depuis le 11 juillet. En costume classique au royaume des photoreporters assez rock et des gilets multipoches, il prit la parole en cinquième position, comme on attaque un match.
Soudain, l’assemblée était très attentive. Le département, la région, chacun avait apporté jusque-là sa pierre à cet édifice délicat du vivre-ensemble, c’est-à-dire chacun chez soi. Un fossé invisible semblait bien les séparer la salle de ce membre du Front national depuis 1990, ex-compagnon de Marine Le Pen et acteur de son ascension au sein du parti paternel. Pas un orateur n’avait regardé de son côté (à droite), préférant se tourner ostensiblement vers la gauche et Jean-François Leroy, fondateur de Visa en 1989 avec feu Roger Thérond, sa figure clé à l’œil encyclopédique et à l’autorité charmeuse. Il a eu, nous disait-il la veille, peu d’échanges avec le maire RN.
Un fossé invisible
Frontal, Louis Aliot aborda directement le sujet qui fâche. Soulignant qu’on lui attribuait l’intention de «mettre fin à Visa» et que cette rumeur était fausse, il a célébré la «liberté d’expression totale», en s’appuyant sur Cicéron, Voltaire et Hélie Denoix de Saint Marc, une certaine idée du courage jusqu’au-boutiste, ce qui lui valut de chauds applaudissements des siens et des apartés acides des autres, peu convaincus par la rhétorique de l’orateur.
Que fera le maire RN de Perpignan, lui dont la participation financière est déterminante pour Visa, si la programmation future aborde des sujets contraires à son idéologie? «Je suis pour la liberté d’expression mais totale. J’ai voté évidemment contre la PMA à l’Assemblée. Si une exposition, met l’accent dessus, je la conçois, mais avec son complément», dit-il au Figaro. Passée l’heure des discours, le nouveau maire dont les collaborateurs, hier ceux de son rival Jean-Marc Pujol, saluent «l’élégance, la politesse, la proximité» s’isola dans le patio du couvent des Minimes avec les siens. Manifestement peu désireux de dévorer les 20 expos de ce cru à fleur de peau, comme un monde uni dans le doute et l’effroi.
Et pourtant, ce cru est beaucoup moins dur que certains, qui alignaient les victimes de la guerre en Syrie sur le carrelage froid des morgues. À l’image du journal de bord tenu sur Instagram par le photographe américain Peter Turnley dans les rues de New York confiné et terrifié par la crise du Covid. Il a les honneurs de Visa 2020, comme l’exposition collective «Pandémie(s)» qui fait une revue de presse formidable des meilleurs clichés. De la construction express d’un hôpital dans la banlieue de Wuhan la maudite (XiaoYijiu pour Chine Nouvelle/Sipa Press) à la messe devant des fidèles absents, représentés par leurs photos à Giussano en Italie (Piero Cruciatti, AFP). De la danseuse thaïlandaise avec masque en Plexiglas sous la couronne dorée (Vichan Poti pour Pacific Press) au champ de tombes creusées dans la terre rouge du Brésil (Andre Prenner pour Associated Press). Derrière l’actualité, les autres crises du monde dépassent l’échelle humaine. «Une planète noyée de plastique» du photographe anglais James Whitlow Delano incarne au mieux ce souci écologique étouffant. Les images sont à la fois belles et accablantes. Elles défient l’humain de réagir, rappelant que la beauté du monde nous appartient.
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Source: ©Visa pour l’image à Perpignan, la guerre de Troie n’aura pas lieu
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