
Le quotidien qui a publié les allégations a aussitôt été fermé. La BBC soutient que le nombre de victimes est le triple de celui annoncé.
Pour la première fois depuis le début de la crise, un officiel iranien a contesté le bilan officiel des décès liés au Covid-19 et accusé les autorités d’avoir caché la vérité sur l’arrivée de l’épidémie dans le pays. « Les statistiques gouvernementales ne sont pas fiables », avait ainsi annoncé un ancien membre du groupe de travail de lutte contre le Covid-19, Mohammad Reza Mahboubfar, au quotidien Jahan-é Sanat, dimanche 9 août. Ses propos ont causé, lundi 10 août, la fermeture du quotidien qui a osé les publier.
Dans le même entretien, l’homme accuse les autorités iraniennes de « dissimuler » les vrais chiffres en raison de leurs « considérations sécuritaires et politiques » et d’annoncer des bilans beaucoup moins importants. « Dès le début, les informations n’ont pas été données à la société de manière transparente et (…) les statistiques ont été maquillées », a précisé Mohammad Reza Mahboubfar.
Selon ce dernier, « le premier malade a été détecté un mois avant l’annonce officielle de l’arrivée du virus dans le pays », soit le 20 février. Les deux grands événements du mois de février, c’est-à-dire la célébration de l’anniversaire de la révolution, le 11, et les élections parlementaires, le 21, ont poussé, explique-t-il, les autorités à retarder l’annonce de l’apparition du Covid-19 en Iran.
Un nombre de décès trois fois supérieur à celui annoncé
Le retour de bâton n’a pas tardé. Seulement vingt-quatre heures après la publication de cet entretien, le quotidien Jahan-é Sanat a reçu un ordre de fermeture administrative. On ne sait pas pour le moment si des poursuites judiciaires seront engagées contre le quotidien ou l’interviewé.
Au lundi 10 août, l’Iran comptait officiellement 18 616 morts du fait du Covid-19 et 286 642 malades confirmés. Le pays le plus touché de la région est depuis quelques semaines frappé par une nouvelle vague de contaminations d’ampleur.
Les déclarations de M. Mahboubfar surviennent alors que, le 1er août, une enquête fouillée de la BBC Persian a démontré le maquillage par les autorités du nombre de décès. La chaîne, diffusée depuis Londres, assure avoir reçu des données de l’intérieur de l’Iran, démontrant que le nombre de décès dus au coronavirus dans le pays est presque trois fois supérieur à ce que le gouvernement prétend. Selon ces informations, presque 42 000 personnes y seraient mortes à la suite de symptômes du Covid-19 entre le 22 janvier et le 20 juillet, tandis que le chiffre rapporté par Téhéran à cette date était de 14 405.
La source de la BBC Persian se présente comme une personne « active dans une organisation officielle ». Les fichiers reçus par la chaîne contiennent des informations sur les Iraniens s’étant rendus ces derniers mois dans les centres médicaux avec les symptômes liés au Covid-19, leur durée et date d’hospitalisation et leurs éventuelles maladies chroniques. Ces données ont été ensuite vérifiées par les journalistes.
Des chiffres « fort crédibles »
Pirouz, un médecin exerçant à Téhéran et dans le sud du pays, et qui préfère parler sous pseudonyme, pense que les chiffres avancés par la BBC Persian sont « fort crédibles ». Il explique également qu’au niveau des hôpitaux, lui et ses collègues font leur diagnostic en fonction de symptômes (toux, fièvre, perte d’odorat ou de goût), parfois en utilisant un examen radiologique des poumons. « Mais nos supérieurs ne comptent que les malades dont le test PCR revient positif, alors que ce test n’est pas fait pour tout le monde, car il coûte cher et les kits sont rares dans le pays », explique-t-il.
Autre mesure pour diminuer le nombre de décès : mentionner une autre maladie comme cause de mort. « J’avais un patient qui est mort à l’hôpital du fait de symptômes semblables à ceux du coronavirus, explique Pirouz. Puisqu’il avait eu il y a quelques années une greffe de rein, dans son certificat de décès, les autorités de l’hôpital ont marqué “insuffisance rénale” comme cause de mort. »
Comme d’autres médecins consultés par Le Monde, Pirouz s’inquiète d’une possible augmentation des cas en raison de la tenue, vers la fin du mois d’août, de cérémonies religieuses, dont celle de l’Achoura commémorant la mort du troisième imam chiite. Le samedi 8 août, un groupe de médecins et d’infirmiers ont demandé, dans une lettre ouverte, l’annulation de ces célébrations. Demande restée pour l’heure sans réponse.
Source:© Un officiel iranien accuse Téhéran de dissimuler le bilan du Covid-19
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