
VIDÉO – Faute de majorité, la première ministre reporte sine die le vote de ratification de l’accord sur la sortie de l’UE.
Correspondant à Londres
Une défaite cinglante
attendait Theresa May. La pire essuyée par un gouvernement britannique
depuis un siècle, à en croire les projections. Plus d’une centaine de
députés conservateurs menaçaient de voter aux côtés de l’opposition
contre leur première ministre, soit un déficit total de près de 200
voix. Elle a préféré reculer devant l’obstacle plutôt que de faire face à
l’humiliation. À la veille de l’échéance, elle a annoncé le report sine
die du vote historique du Parlement, prévu ce mardi soir, pour ratifier
l’accord sur le retrait de l’Union européenne négocié pendant un an et
demi avec les Vingt-Sept. Son plan pour le Brexit se retrouve dans une impasse politique totale.
Theresa May : “Le vote sur le Brexit sera reporté” – Regarder sur Figaro Live
Elle
affirme avoir «écouté attentivement» les critiques des parlementaires
tout en répétant que son accord est «le meilleur qui puisse être négocié
avec l’UE». Elle promet toutefois de repartir discuter de leurs
réserves avec ses homologues européens et les dirigeants de la
Commission pour trouver «de nouveaux moyens de rassurer» la Chambre des
communes.
La question du «backstop»
La question qui fâche porte sur le backstop,
le dispositif qui pourrait maintenir le Royaume-Uni dans une union
douanière illimitée avec l’UE pour garantir l’absence de frontière
physique en Irlande, tant qu’un futur traité de libre-échange ne sera
pas conclu. Theresa May a été poussée par ses proches à retourner se
confronter aux Européens dans un coup d’éclat thatchérien, malgré sa
conviction d’avoir obtenu le maximum. Un conseil à Vingt-Huit est
justement prévu à Bruxelles jeudi et vendredi. Mais les dirigeants
européens ont réaffirmé lundi qu’il n’y avait rien à renégocier. La
première ministre britannique rencontrera auparavant Angela Merkel mardi
à Berlin.
» LIRE AUSSI – Qu’est-ce que le «backstop», au cœur des débats sur le Brexit?
Deux
ans et demi après le référendum, Westminster est à nouveau plongé dans
un chaos indescriptible. Malgré les rumeurs d’un report, les ministres
avaient été dépêchés tout le week-end sur les ondes pour assurer que le
vote aurait bien lieu «à 100 %» mardi soir. Theresa May avait elle-même
assuré toute la semaine dernière que ce serait le cas. Son porte-parole
répétait encore le message lundi matin. Or le chief whip, Julian Smith,
responsable de la discipline de vote au groupe parlementaire
conservateur, s’était ému auprès de la première ministre de
l’impossibilité de la tâche.
Theresa May n’a pas fixé de nouvelle
échéance avant une date butoir du 21 janvier, établie par la procédure
législative de retrait de l’UE
Lundi peu avant midi, Theresa May réunissait son cabinet par
conférence téléphonique pour lui annoncer sa décision de reporter le
vote. Elle n’a pas fixé de nouvelle échéance avant une date butoir du
21 janvier, établie par la procédure législative de retrait de l’UE. Une
stratégie désespérée pour gagner du temps, alors que ses rivaux, comme
Boris Johnson, Sajid Javid, ministre de l’Intérieur, ou Dominic Raab,
ex-ministre du Brexit démissionnaire, sentant leur heure venir,
commençaient à nouveau à l’encercler.
«Gouverner ou démissionner»
Pour
ajouter à la confusion, une controverse s’est élevée sur la légitimité
de l’exécutif à reporter le vote au beau milieu d’un débat parlementaire
qui a déjà duré trois jours. Le speaker (président) de la Chambre des
communes, John Bercow, s’est froissé du manque de «courtoisie»
consistant à ne pas demander aux députés de voter sur le report du vote,
comme le voudrait la procédure normale! Theresa May met les élus au
pied du mur, tout en les privant de l’occasion de le faire au moment
prévu. «Cette Chambre fait face à une question bien plus fondamentale:
veut-elle mettre en œuvre le Brexit?», leur a-t-elle lancé.
«Nous
sommes prêts à le faire, Madame la première ministre, soumettez
l’accord à notre vote ou à celui du public», lui a répondu le
travailliste Ben Bradshaw, favorable à un nouveau référendum. Theresa
May doit «gouverner ou démissionner», l’a défiée le chef de file des
«Brexiters» tory, Jacob Rees-Mogg, instigateur d’un putsch raté contre
elle le mois dernier. «Elle a perdu la confiance et sa crédibilité ici
comme auprès de l’Union européenne», a taclé son collègue Mark Francois,
lui aussi pro-Brexit.
«Le gouvernement a perdu le contrôle
des événements et est en plein désarroi. Si la première ministre ne
peut pas renégocier son accord bâclé, elle doit s’en aller»
Le chef de l’opposition travailliste a eu beau jeu de souligner une
situation «extrêmement grave et sans précédent». «Le gouvernement a
perdu le contrôle des événements et est en plein désarroi. Si la
première ministre ne peut pas renégocier son accord bâclé, elle doit
s’en aller», a tempêté Jeremy Corbyn.
La chef nationaliste du
gouvernement écossais Nicola Sturgeon, fustigeant sa «lamentable
lâcheté», s’est dite prête à soutenir une éventuelle motion de censure
du Labour contre Theresa May. Les centristes libéraux-démocrates en
feraient autant. Quant aux alliés supposés du gouvernement du Democratic
Unionist Party nord-irlandais, qui se préparaient à bloquer l’accord,
ils jugent sa position «impossible et pas crédible».
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Ce
capharnaüm désespère les milieux d’affaires. «À moins d’un accord
adopté rapidement, le pays risque de glisser dans une crise nationale»,
alerte Carolyn Fairbairn, directrice de l’organisme patronal
Confederation of British Industrie. Le report à fait plonger la livre à
son plus bas niveau depuis vingt mois, à 1,25 dollar et 1,10 euro. Il
accroît le risque d’une sortie de l’Union européenne, le 29 mars, sans
accord en bonne et due forme avec l’UE. Une perspective sur laquelle le
gouvernement et la Banque d’Angleterre n’ont pas manqué d’alerter,
soulignant les importants risques pour l’économie, mais aussi pour
l’approvisionnement en biens alimentaires, médicaux voire en eau
potable.
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