Ce mardi 21 septembre, à 7 h 48, invité de la matinale de France Inter, Stéphane Séjourné, le député européen et conseiller politique d’Emmanuel Macron, est en mission commandée pour laver l’outrage fait à la France. La rupture du faramineux contrat de vente de sous-marins à l’Australie a non seulement provoqué une grave crise diplomatique entre Paris et Washington, mais aussi abîmé la stature d’autorité du président de la République.
Chaque mot a été choisi et pesé auprès de la cellule diplomatique de l’Elysée. « Il y aura une discussion avec Joe Biden. Ce ne sera pas un échange de réconciliation mais de clarification, car il y a eu un problème sur le fond et la forme », déclare le conseiller. Le jeudi 23 septembre, le lendemain de l’entretien téléphonique, exactement au même horaire et toujours sur France Inter, Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement finit le travail : « Joe Biden a reconnu la responsabilité des Etats-Unis dans la crise. » Opération terminée.
Le grand public n’a rien remarqué d’étonnant. Il ignore qu’on vient d’entendre un couple de pouvoir se passer la parole. Bien sûr, il y a eu Ségolène Royal et François Hollande (l’une candidate à l’élection présidentielle et l’autre chef de parti), Michèle Alliot-Marie et Patrick Ollier (quelques mois ministres dans le même gouvernement de Nicolas Sarkozy) ou encore Najat Vallaud-Belkacem et Boris Vallaud (l’une ministre de l’éducation de François Hollande et l’autre secrétaire général adjoint de l’Elysée). Mais Gabriel Attal, 32 ans, et Stéphane Séjourné, 36 ans, se sont hissés au sommet de l’Etat dans une position totalement inédite sous la Ve République : l’un souffle à l’oreille du président, l’autre parle au nom du premier ministre. Et les deux vivent ensemble.
« Nous ne sommes pas un couple politique. On a toujours cloisonné entre nous. » Gabriel Attal
Le tandem est devenu gardien du temple de la communication de l’exécutif : celui qui invente et répercute ces si précieux éléments de langage qui font le miel ou la misère de la politique. Alors, quand ça chauffe, c’est vers eux qu’on se tourne. C’est souvent la garantie d’un travail bien fait. Stéphane Séjourné et Gabriel Attal sont alignés, comme un jardin à la française.
Un conseil cependant, ne leur faites surtout pas ce genre de compliments, ils le prendraient très mal. « Nous ne sommes pas un couple politique. On a toujours cloisonné entre nous », lâche Gabriel Attal. Ce qui fait sourire tous ceux qui les connaissent. En tout cas, ce sera la seule citation du porte-parole du gouvernement. Comme Stéphane Séjourné, il a accepté de répondre à nos questions à la seule condition qu’on ne reproduise pas ses propos. La quasi-totalité de nos interlocuteurs ont exigé, eux aussi, un strict anonymat. Le couple en politique est par définition une affaire sensible. D’autant plus quand il s’agit, cas encore rare dans la vie politique française, de deux hommes.
Les ambitions enflées par la campagne à venir
Une rigueur de moine soldat n’empêche nullement de s’arranger avec la vérité. C’est parfois même fortement recommandé. Ce 21 septembre, donc, Stéphane Séjourné termine son entretien avec Léa Salamé par une phrase qui ne mange pas de pain : « On est à la tâche et la présidentielle, objectivement, elle se préparera quand elle devra se préparer. Et c’est pas maintenant. » Le conseiller d’Emmanuel Macron est bien placé pour savoir que, contrairement à ce qu’il dit, une bataille fait déjà rage en coulisse depuis plusieurs semaines au sein de la majorité présidentielle. Une bataille d’ambitions, mais aussi d’influence, qui est en train de dessiner l’allure et la consistance politique de la future campagne du chef de l’Etat.
Cette campagne sera forcément courte, donc rapide. « Si le président se décide à monter dans le train, il sera déjà lancé à vive allure », dit-on à l’Elysée. C’est donc maintenant qu’il faut s’asseoir sur les bons sièges. Chacun en Macronie a révisé ses classiques : un poste stratégique auprès d’un candidat en campagne, c’est la garantie, en cas de victoire, d’un beau maroquin ministériel. L’effet est quasi mathématique.
« Je ne sais pas jusqu’à quel point le cas Gabriel Attal a pu causer du tort à Stéphane Séjourné. Mais ce qui est sûr, c’est que Gabriel est en train de prendre toute la lumière et a tué politiquement son compagnon. » Un proche du couple Attal-Séjourné
Ils sont donc une grosse dizaine de ministres à s’agiter et à prétendre rejoindre le noyau dur de la future campagne. Tout est bon pour se pousser du col : ici, c’est la parution d’un livre (la secrétaire d’Etat Olivia Grégoire et la ministre déléguée Marlène Schiappa), là le lancement d’un think tank (par le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer) ou encore la tenue d’un meeting (par le ministre de la santé, Olivier Véran).
Jusqu’à début octobre, ils étaient cinq à candidater aux postes les plus sensibles : Sébastien Lecornu, le ministre des outre-mer, Thierry Solère, l’autre conseiller politique d’Emmanuel Macron, Clément Beaune, le secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, et, donc, Stéphane Séjourné et Gabriel Attal. Deux profils clairement de droite (les ex-Les Républicains Solère et Lecornu) contre trois issus de la gauche. Deux amis, un solitaire et un couple.
Fidèle adepte du « que le meilleur gagne », le chef de l’Etat a laissé cette petite classe jouer des coudes et faire ses preuves. Il encourage tout le monde et ne dissuade personne. Sans directives précises ni consignes claires. A la condition que cette saine émulation ne fasse pas trop de bruit dans la presse.
Le président peut être satisfait. Le départ de l’Elysée de Stéphane Séjourné – parti en octobre prendre la tête du groupe Renew Europe, la troisième force politique du Parlement européen – n’aura pas fait couler beaucoup d’encre. Son conseiller est pourtant la première victime d’un système de sélection darwinien, dont Emmanuel Macron raffole, par faiblesse ou cynisme.
« Je ne sais pas jusqu’à quel point le cas Gabriel Attal a pu causer du tort à Stéphane Séjourné. Mais ce qui est sûr, c’est que Gabriel est en train de prendre toute la lumière et a tué politiquement son compagnon », décrypte un proche. Cruelle et excessive, la sentence résume malgré tout un impitoyable renversement : si, au début du mandat présidentiel, Stéphane Séjourné était l’homme fort du couple, incontesté et respecté par toute la majorité, c’est désormais Gabriel Attal qui attire à lui les faveurs et les honneurs.
Coup de foudre à Bercy
Le couple politique est né, en tout cas publiquement, le 20 août 2017. En guise de faire-part : une photo, tweetée par Gabriel Attal lui-même. Un bout de jardin à quelques mètres de la mer, une table en teck autour de laquelle sont notamment assis Stéphane Séjourné, Pierre Person, Sacha Houlié et donc Gabriel Attal. Les trois premiers sont des vieux copains de fac qui ont longtemps milité au Mouvement des jeunes socialistes à Poitiers, cornaqués à l’époque par Jean-Christophe Cambadélis. Avec Guillaume Chiche et Aurélien Taché, ils forment ce que la Macronie a baptisé la « bande de Poitiers ». Un groupe d’amis qui va incarner, un temps, le pôle gauche de la majorité.
Gabriel Attal est tout à la fois la pièce rapportée du groupe et la puissance invitante. Pour les initiés, cela ne fait plus aucun doute : Gabriel et Stéphane sont donc bien ensemble. Nous sommes à la pointe du Trec’h, tout au nord de l’Ile-aux-Moines, au cœur du golfe du Morbihan, dans un ancien hangar ostréicole devenu la propriété du grand-père de Gabriel Attal.
II fait beau, on a sorti les tongs et les shorts. Ce sont leurs premières vacances depuis la victoire d’Emmanuel Macron. Tous sont devenus députés « marcheurs », sauf Stéphane Séjourné, le plus âgé de la bande, qui a fait le choix d’accompagner son mentor à l’Elysée. On est heureux et évidemment content de soi. On se dit que ce serait chouette d’immortaliser ce moment en utilisant le drone de Pierre Person. Clic-Clac. « Bourbon sur mer », titrait le tweet. Du nom de la brasserie, qui fait face à l’Assemblée nationale.
Jusqu’au tweet, le couple était d’une discrétion presque maladive. Les deux hommes tombent amoureux début 2015, lors d’une réunion de travail à Bercy ayant pour thème « l’avenir des professions de santé dans la perspective de la libéralisation des professions protégées dans la future loi Macron ». Gabriel Attal est depuis trois ans le jeune conseiller de Marisol Touraine, la ministre de la santé de François Hollande, et Stéphane Séjourné, celui du tout jeune ministre de l’économie, Emmanuel Macron. « Ça a été le crush immédiat entre les deux », se souvient un participant de la réunion.
Mais leur relation reste confidentielle, y compris pour les copains de la « bande de Poitiers ». Certes, pendant la campagne, il leur est arrivé de croiser le jeune Gabriel en coup de vent au siège d’En marche !, lorsqu’il venait chercher tard le soir son compagnon. Mais c’est tout. A l’époque, Attal ne sait pas trop ce qu’il va faire de sa vie. Il a une proposition de poste à l’ONU, à New York. Alors, sans savoir de quoi demain sera fait, les deux amoureux ont décidé de se pacser. Au cas où ils devraient quitter la France. Au cas où leur candidat Emmanuel Macron échouerait.
Un selfie avec Lionel Jospin
A l’été 2017, Stéphane Séjourné est devenu une pièce indispensable du dispositif du chef de l’Etat. Avec sa « bande de Poitiers » et Gabriel Attal, il peut compter sur des relais redoutables et redoutés. A ce noyau dur s’agrègent quelques députés de la droite, dont Aurore Bergé. Pendant plusieurs mois, à l’Assemblée comme dans les médias, ils chassent en meute, prêts à sortir du bois au moindre coup de sifflet de l’Elysée. Stéphane Séjourné est un chef qui n’aime pas trop « cheffer ». Tactique mais prudent. Très prudent. Installé dans un soutien critique à Edouard Philippe, il essaie, en coulisse, de ne pas décourager la jambe gauche de la majorité. Ça tient tant bien que mal jusqu’à l’été 2018.
« Gabriel est dans une recherche de notoriété permanente. C’est une donnée de base de sa personnalité. C’est tellement assumé qu’on peut franchement en rigoler avec lui. » Une amie
De retour à la pointe du Trec’h pour les vacances, Séjourné et Attal ont cette fois invité l’autre moitié de la « bande de Poitiers », les députés Guillaume Chiche et Aurélien Taché, ainsi que deux autres collègues de la majorité. Un soir, la petite bande croise au restaurant un dénommé Lionel Jospin accompagné de son épouse. L’ancien premier ministre est de la même section socialiste du 18e arrondissement de Paris qu’Aurélien Taché lorsqu’il était au PS. On se salue. On échange quelques mots. Et on se propose de faire un selfie. Le cliché paraît quelques jours plus tard dans Paris Match. Comme un joli pied de nez à tous les esprits grincheux qui commencent à critiquer les débuts droitiers du mandat d’Emmanuel Macron.
Gabriel Attal est très content du petit effet de cette photo. Il adore faire des coups, qu’on parle de lui. Le garçon au physique de jeune premier s’exprime vite et bien. Séducteur et séduisant, bon camarade, cet ancien élève de l’Ecole alsacienne assume une ambition qu’il porte comme une rosette de la Légion d’honneur, bien visible. « Il est dans une recherche de notoriété permanente. C’est une donnée de base de sa personnalité. C’est tellement assumé qu’on peut franchement en rigoler avec lui », sourit une amie.
Ce fils de parents divorcés (père avocat devenu producteur de cinéma et mère salariée d’une société de production) poste sur Instagram tous les articles qui lui sont consacrés. Pour lui, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise presse : Valeurs actuelles, Closer, Gala… Il assume publiquement son homosexualité, confie des envies de GPA et déclare, dans Closer : « Poser avec mon amoureux, ça n’est clairement pas au programme, mais ça a toujours existé chez les politiques hétéros, alors pourquoi les gays ne le pourraient pas ? » Stéphane Séjourné est de son côté farouchement opposé à l’idée de médiatiser leur couple.
Menace d’« outing »
A la rentrée de 2018, Gabriel Attal décide de se porter candidat à la présidence du groupe La République en marche (LRM) à l’Assemblée nationale, face notamment aux députés Gilles Le Gendre et Roland Lescure. Il dit à ses proches qu’il est surtout là pour prendre date. Ce qui ne l’empêche pas de mener une campagne interne tambour battant… Mais sans l’appui de la « bande de Poitiers », qui, elle, soutient Roland Lescure. « Gabriel nous en a longtemps voulus », confie en souriant un membre du groupe.
Et, surprise, le candidat « pour voir » est en passe de devenir le favori. La tension monte d’un cran dans la majorité. Des allusions à son homosexualité et à son couple circulent dans les travées de l’Assemblée. Un député « marcheur » vient même directement menacer Attal de faire fuiter dans la presse une union dont les parents de Stéphane Séjourné ignorent encore tout. Gilles Le Gendre est obligé de faire un rappel à l’ordre. Mais Gabriel Attal refuse de lâcher. Il finit par mettre pied à terre quand l’Elysée et Matignon lui demandent d’arrêter sa petite échappée en solitaire. Et lui assurent qu’ils sauront se souvenir de ce « sacrifice ».

Quinze jours plus tard, au mariage d’Ismaël Emelien, le conseiller spécial d’Emmanuel Macron, Gabriel Attal apprend qu’il va entrer au gouvernement. A l’occasion d’un petit remaniement, provoqué par la démission de Gérard Collomb, il est nommé secrétaire d’Etat à la jeunesse, auprès du ministre de l’éducation nationale, le 16 octobre 2018. Gabriel Attal a 29 ans et devient le plus jeune ministre de la Ve République.
Le baptême du feu réussi de Gabriel Attal
Son ascension va connaître un extraordinaire coup d’accélérateur. Le 2 décembre 2018, la France découvre les images d’un Arc de triomphe saccagé et d’une avenue des Champs-Elysées dévastée après le passage d’un mouvement de contestation que personne n’avait anticipé. Gabriel Attal est au Sénat, coupé du monde, à défendre un obscur texte de loi sur les associations. Le portable de son conseiller sonne : c’est France 2 qui l’invite à une émission spéciale en prime time consacrée à cette crise sociale inédite.
Attal pense que c’est une erreur de destinataire. Mais non. Les gros bonnets du gouvernement se sont tous fait porter pâle : Benjamin Griveaux (porte-parole), Gérald Darmanin (ministre de l’action et des comptes publics), Jean-Michel Blanquer… Alors, faute de grives, les journalistes se rabattent sur le dernier ministre de l’ordre protocolaire. Le plus jeune et le plus inexpérimenté. Attal passe un coup de fil à Griveaux, qui lui déconseille d’y aller : « C’est un traquenard, ils seront tous contre toi. » Mais, à Matignon, on lui fait comprendre qu’il n’est pas question de laisser une chaise vide sur le plateau de France 2 qui serait aussitôt interprétée comme la métaphore d’un pouvoir à la dérive.
Il est 20 heures passé. Et le voilà assis en cabine de maquillage à côté de Léa Salamé qui l’engueule presque : « Mais, enfin, vous n’avez rien à faire là, ce n’est pas à vous de représenter le gouvernement ! C’est n’importe quoi ! » Et d’ajouter : « Mais c’est courageux d’être là. » Face à lui, ce soir-là, Jean-Luc Mélenchon, l’économiste Thomas Piketty, Nicolas Dupont-Aignan et cinq représentants des « gilets jaunes ». Gabriel Attal a tenu la baraque. Seul contre tous. Depuis, plus personne ne le regarde de la même façon.
« Si Séjourné considère qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir, Attal n’en connaît aucune. En fait, il est ni de droite ni de gauche. C’est son seul défaut. » Un ami
Comme si tout cela avait été synchronisé, quelques semaines après l’entrée de Gabriel Attal au gouvernement, Stéphane Séjourné décide de quitter le palais de l’Elysée et sa fonction de conseiller politique pour prendre la direction de la campagne des élections européennes. C’est son choix. Cet Européen convaincu, fils d’expatrié (son père travaillait à France Télécom) n’est pas un bateleur. Il parle peu, mais adore l’odeur des campagnes.
Adepte des coups de billard à deux ou trois bandes, ce titulaire d’un brevet de pilote de l’air aime les cartes électorales et les négociations de marchands de tapis pour constituer des listes de candidats (il a été chargé de l’investiture aux législatives de 2017). Un vrai politique, disent les gentils, un apparatchik, persiflent les méchants. Dans un contexte social encore très tendu, le résultat des élections est miraculeux : LRM arrive juste derrière le Rassemblement national, avec 22,42 % des voix. Malgré l’éloignement à Bruxelles, Stéphane Séjourné n’a rien perdu de son aura.
L’idéaliste et le pragmatique
Pendant ce temps, Gabriel Attal gagne, lui, au gouvernement le surnom de « Natascha », en référence à Natascha Kampusch, cette jeune Autrichienne séquestrée pendant huit ans dans la cave de son ravisseur. « Blanquer [son ministre de tutelle] était insupportable avec lui, il le sadisait sous prétexte que Gabriel commençait à avoir une vraie notoriété… Même si Gabriel ne se plaignait pas trop, il le faisait savoir, sur le mode “faites-moi sortir de là, je vous en supplie” », raconte un membre du gouvernement de l’époque.
Il lui faut attendre jusqu’au 6 juillet 2020. La violente claque des municipales oblige Macron à un remaniement et à la nomination surprise de Jean Castex à Matignon. Oublié « Natascha ». Gabriel Attal devient porte-parole du gouvernement. Le poste qu’il convoitait. Et peu importe que Jean Castex, ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée de Nicolas Sarkozy, soit un homme de droite. Gabriel Attal s’en moque. Il est d’une plasticité idéologique remarquable. « Si Séjourné considère qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir, Attal n’en connaît aucune. En fait, il est ni de droite ni de gauche. C’est son seul défaut », sourit un ami. « Séjourné est le militant épris d’un idéal. Attal est le politique pragmatique », formule en termes plus diplomatiques Pierre Person.
Gabriel Attal nage comme un poisson dans l’eau dans le grand flou idéologique de La République en marche. Pendant la crise sanitaire, il se distingue par un travail acharné et consciencieux. Il se démultiplie et tente d’apporter des réponses précises à des questions compliquées. Il ne commet pas de fautes et regagne ainsi, avec Olivier Véran, une partie de la crédibilité perdue du gouvernement lors du premier confinement et les polémiques à répétition sur les masques. Il est en train de faire du poste de porte-parole, réputé impossible, un tremplin.
Les deux amants mis en concurrence
Les ambitions en vue de la campagne présidentielle se sont aiguisées au début du mois de juin 2020. Jusqu’à présent, la Macronie n’a pas trop la tête à la présidentielle. Mais les premiers sondages pour les régionales de 2021 sont catastrophiques et Edouard Philippe commence à s’agiter : il fait la tournée des élus de droite, laisse entendre qu’il va créer un nouveau parti et qu’il se verrait bien passer le second mandat de Macron au perchoir de l’Assemblée nationale, confortablement installé au-dessus de la mêlée.
Evidemment, Richard Ferrand, l’actuel président de l’Assemblée nationale et grand manitou de la majorité, voit rouge et sonne la mobilisation : il faut au plus vite renforcer la maison LRM. Et trouver un successeur à l’actuel patron, Stanislas Guerini, qui a fait son temps et qui a bien envie de devenir ministre. L’idée est de profiter d’un remaniement pour l’exfiltrer et le recaser au gouvernement.
Stéphane Séjourné pense que son heure a enfin sonné. Depuis décembre 2020, il est revenu au plus près du pouvoir, en tant que conseiller politique du chef de l’Etat, tout en restant député européen. Mais, cette fois, il doit partager son titre avec Thierry Solère, grand ami d’Edouard Philippe et de Gérald Darmanin. Dans la perspective de la présidentielle, Séjourné a pour mission de draguer la gauche, et Solère de siphonner la droite. Il va sans dire que l’agenda de Thierry Solère est beaucoup plus chargé que le sien.
Stéphane Séjourné a une feuille de route en tête : construire une maison commune qui réunirait tous les partis de la majorité derrière la candidature d’Emmanuel Macron. A la fois pour coordonner la campagne et préparer les législatives. Et bien sûr contenir les ambitions d’Edouard Philippe. Mais voilà que Richard Ferrand a une tout autre idée : imposer à la tête de La République en marche… Gabriel Attal.
« On avait évidemment conscience qu’on faisait une mauvaise manière à Séjourné, raconte un pilier du groupe LRM. Mais on ne peut pas à la fois chercher à banaliser un couple de pouvoir et invoquer des questions d’ordre privé quand on ne va pas dans le sens de leur intérêt personnel. Pour nous, Attal avait l’avantage d’incarner une fonction. » Voilà le couple mis en concurrence interne. Les deux font comme si de rien n’était.
« Ils n’en parlent pas avec nous, ils sont très pudiques là-dessus », confie un membre de la « bande de Poitiers ». Attal répond à Ferrand qu’il n’est pas demandeur, mais qu’il pourrait se laisser tenter à une seule condition : cumuler sa fonction de délégué général du parti avec le porte-parolat du gouvernement. Pas question pour Jean Castex de laisser partir son porte-parole. Le premier ministre n’est pas chaud non plus pour qu’il cumule les deux fonctions. On en reste là.
Stéphane Séjourné à la traîne
Le résultat catastrophique des régionales remet le sujet de l’avenir du parti sur la table. Convaincu qu’il est l’homme de la situation, Stéphane Séjourné n’abandonne pas l’idée de revenir dans la compétition. A la mi-juillet, il a un entretien avec Emmanuel Macron sur le sujet. Il en ressort avec la conviction d’avoir obtenu son soutien. En tout cas, c’est ce qu’il dit à son entourage. « On est alors beaucoup à recevoir un appel de Stéphane pour nous dire qu’il fallait qu’on se mette au travail pour construire la maison commune de la majorité, nous faisant comprendre qu’il en serait le responsable », se souvient un député « marcheur ».
Mais Stéphane Séjourné n’a plus les mêmes relais qu’au début du quinquennat. La « bande de Poitiers » a politiquement explosé : Guillaume Chiche a quitté LRM, tout comme Aurélien Taché, qui a ensuite rejoint le candidat écologiste Yannick Jadot, et Pierre Person a démissionné de la direction du parti. Dans ce cataclysme, ils ont juste réussi à sauver, in extremis, leur amitié. Les jours passent, mais rien ne bouge. Pas de perspective de remaniement, pas d’exfiltration de Stanislas Guerini.
A la sortie de l’été, Stéphane Séjourné sent bien que l’affaire est en train de lui échapper. Sans compter que ses rivaux avancent, eux, à grandes enjambées. Le duo Solère-Lecornu a réalisé un été d’enfer. Le premier a d’abord réussi, en retirant le candidat LRM, à faire élire Renaud Muselier à la tête de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur avec une liste « Macron-compatible ».

Puis, six jours après les annonces du chef de l’Etat sur la vaccination et le passe sanitaire, le duo fait paraître, le 18 juillet dans Le Journal du dimanche, une tribune qui salue « le courage des décisions prises par Emmanuel Macron ». Elle est signée par plus de 300 maires transpartisans (dont quelques-uns de gauche). Un joli coup. Porté par leur élan, les deux compères se mettent à structurer, un peu partout en France, des comités de soutien d’élus municipaux prêts à se mettre en branle quand Emmanuel Macron se déclarera candidat.
Si bien qu’aujourd’hui, au petit jeu des pronostics, Sébastien Lecornu fait figure de grand favori au poste de stratège de la campagne. « Il a vite compris la faille congénitale de la Macronie, en investissant les territoires », complimente un ministre. « Il aura un rôle de tout premier plan dans la campagne, c’est quasiment acquis. Il est discret, et il fait les choses, tout ce que Macron aime », souffle un fidèle du chef de l’Etat.
Le couple contre-attaque
Tout cela ne fait pas les affaires de Stéphane Séjourné. D’autant plus que, sur le flanc gauche, Clément Beaune, le secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, n’hésite pas à sortir de son champ de compétence pour théoriser la future campagne. « En 2022, il nous faudra incarner le champ de la République et de la raison », déclare-t-il dans Le Monde le 23 août. De gauche, cet ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault à Matignon puis d’Emmanuel Macron à Bercy est une figure assez atypique. L’énarque plutôt solitaire fait clairement comprendre à ses interlocuteurs qu’il veut désormais peser politiquement dans la campagne. Si sa relation avec Macron est excellente, elle est juste polie avec Séjourné.
Quinze jours après la sortie de Beaune, Gabriel Attal le recadre. « En politique, on ne peut pas disqualifier ses adversaires par principe. Il n’y a pas ceux qui ont toujours raison face à ceux qui ont toujours tort », réagit-il dans Le Monde le 7 septembre. Pour les spécialistes de la Macronie, le couple Attal-Séjourné est en train de repartir à l’attaque. D’autant plus que le conseiller politique du président venait lui aussi de donner une interview très politique dans Le Journal du dimanche, appelant à la création « d’un grand parti démocrate ».
Comme par hasard, l’expression est reprise deux jours plus tard par Attal. A priori, il ne fait donc aucun doute que cette opération de communication a reçu l’aval de l’Elysée pour imposer Séjourné comme le grand coordinateur du futur parti. En réalité, Stéphane Séjourné a pris l’initiative seul, sans prévenir personne, et certainement pas l’Elysée. Un va-tout. Ou, plus exactement, une révérence. « Il tente le tout pour le tout, mais il sait au fond de lui que c’est foutu », décrypte un proche.
Séjourné s’exile à Bruxelles
Ce jour d’octobre, assis au soleil sur la terrasse au dernier étage du « Rocher », du nom de l’un des deux immeubles du nouveau siège social de La République en marche, dans le 8e arrondissement de Paris, Stanislas Guerini peut souffler. Il a le sourire des résilients. Il sait qu’il aura sa place dans le dispositif du futur candidat. Il contemple l’immeuble de l’autre côté de la petite cour. Il dit : « C’est ici que la campagne se fera. » Trois étages vont accueillir le futur staff du candidat. Un embryon d’équipe commence déjà à travailler.
Gabriel Attal a fait savoir qu’il se verrait bien occuper le poste de la riposte et de la communication du candidat. A ce jour, personne ne voit très bien qui pourrait lui contester cette place. Stéphane Séjourné a, lui, abandonné la course aux ambitions. Après avoir séché plusieurs réunions du lundi à l’Elysée, que beaucoup ont interprété comme un signe de mauvaise humeur, il s’est déclaré à la candidature de la présidence du groupe Renew Europe au Parlement européen, auquel appartient LRM. Une belle opportunité qui tombe à pic.
Il a fait campagne en promettant de s’occuper à plein temps des affaires européennes. Mardi 19 octobre, il a été élu par acclamation. Il était seul candidat. Maintenant, Stéphane Séjourné doit abandonner son poste de conseiller politique du chef de l’Etat. Avec son départ, c’est le dernier des historiques de la campagne victorieuse de 2017 à quitter l’Elysée.
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