
EXCLUSIF – En parallèle à sa carrière de
journaliste sur Europe 1 et CNews, Sonia Mabrouk poursuit avec succès
une œuvre de romancière et d’essayiste. À l’heure de la sécession des
élites, son nouveau livre, Douce France. Où est (passé) ton bon sens? (Plon), qui paraîtra le 5 septembre, rend hommage au génie populaire. Le Figaro Magazine en dévoile les bonnes feuilles.
Qu’attendons-nous pour renouer avec l’esprit français, puisque, de
toute évidence, le bon sens fait partie de cet esprit incarné entre
autres par René Descartes? Le philosophe et scientifique estimait que
tous les hommes, sans exception, sont dotés de ce sens commun. Descartes
n’opposait pas, comme Platon, une élite qui aurait le monopole du
savoir et de l’intelligence à un peuple qui serait plus enclin à agir en
fonction de son intuition. Selon lui, tout le monde peut accéder à ce
fameux bon sens, qu’il appréhendait comme la raison ou la capacité à
toucher du doigt le vrai. Arrachons cette sagesse populaire à tous ceux
qui ont voulu (nous) la confisquer. Comme Tocqueville, préférons les
gens simples aux soi-disant savants se tenant «à l’écart du bon sens».
Ce livre est un cri, un appel, même: douce France, retrouve ta sagesse.
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Éloge de la culture populaire
Nous avons tous en tête des contes et des chants traditionnels qui
forment notre imaginaire, un socle qui nous a éveillés à l’émotion
littéraire. Cessons de ringardiser cet ensemble, mettons de nouveau au
goût du jour les processions et dévotions héritées d’un temps où croire
n’était pas tabou. La croyance n’est d’ailleurs pas forcément
religieuse. On peut croire en des traditions sans forcément être habité
par la piété. Croire par exemple que la procession de la Sainte Coiffe à
Cahors est un rituel à préserver ne suppose pas d’être soi-même
catholique pour l’affirmer. Je pense que de tels événements participent
de la vie et de la vitalité des villages, des villes et centres-villes
parfois moribonds. N’oublions pas, aussi, tout ce que ces traditions
racontent de l’histoire de France. Quel meilleur moyen d’apprendre que
celui de célébrer de tels rituels?
En Orient, comme en Occident, le
réenracinement n’est pas seulement une option parmi d’autres, il s’agit
d’une impérieuse nécessité
Sous l’empire des déracinés, toutes ces traditions sont autant de
marques de réenracinement qu’il faut saluer et encourager. Ce mouvement
des peuples, que l’on peut associer à un instinct de survie, n’est pas
propre aux sociétés occidentales. En terre d’islam, une partie de la
population cherche elle aussi à se raccrocher à son histoire et, par là
même, à lutter contre le fondamentalisme religieux. Le projet de
déracinement à marche forcée imposé au monde a grandement favorisé la
propagation de l’islamisme. Face à un modèle sans repères et dénué de
sens, l’extrémisme est venu occuper la place laissée vacante par un
modèle traditionnel et séculaire abandonné ou ringardisé. Je me souviens
comme si c’était hier des chants qui résonnaient dans notre maison de
La Goulette, en Tunisie. Des hymnes à l’amour, à la joie et au pays.
J’avais l’habitude de dire à ma grand-mère que je trouvais ces airs
sympathiques mais terriblement ringards. Sa réponse était toujours la
même: «Tu comprendras en grandissant pourquoi il est important pour toi
de les écouter et, pour moi, de te les transmettre.» Aujourd’hui, j’ai
compris: ces traditions représentent bien plus que des chants
folkloriques ou des coutumes locales, elles forgent un ensemble qui
permet de se raccrocher à ce qui fait encore sens, à ce qui produit du
commun dans une société.
En Orient, comme en Occident, le réenracinement n’est pas seulement
une option parmi d’autres, il s’agit d’une impérieuse nécessité. N’ayons
pas peur de faire l’éloge du populaire: c’est encore le meilleur moyen
de garder son âme.
Médias: voir le réel tel qu’il est
Un minimum d’autocritique ferait beaucoup de bien à notre profession
tant décriée. Car, emporté par le rythme infernal des chaînes
d’information continue, submergé par l’insignifiance des anecdotes sur
les réseaux sociaux, le journalisme prend aujourd’hui parfois le chemin
inverse du bon sens. Et devient, par là même, le reflet d’un conformisme
pour ne pas dire d’un panurgisme effrayant. En disant cela, je me mets
évidemment dans le lot. Lors de nombreux débats à la télévision ou à la
radio, j’ai souvent cédé à des postures de facilité, à une bien-pensance
tellement commode. Or, sans trop y prêter attention, subrepticement, on
se laisse happer par cette ambiance, reproduisant de manière
pavlovienne certains tics de langage et autres clichés «boboïsés». Trop
de fois, il m’a semblé que nous appréhendions le monde tel qu’on
voudrait qu’il soit et non tel qu’il est vraiment. N’est-ce pas le pire
travers d’une profession qui se doit d’être le reflet de la réalité?
Le tabou de l’immigration
Sur le sujet des migrants, il ne faut pas nier l’évidence. Si une
partie de plus en plus importante d’Européens craint l’arrivée des
migrants, c’est d’abord du fait de leur religion. Que cette peur soit
légitime ou non, nous avons le devoir d’en tenir compte. Pour faire
accepter un devoir d’humanité, la moindre des choses consiste d’abord à
poser le débat avec un minimum d’honnêteté. Or, la plupart des
responsables politiques et une partie des médias évitent soigneusement
d’évoquer précisément ces questions. Pire, quelques-uns croient utile de
faire la leçon en s’égosillant sur les plateaux: «Vous n’avez pas
honte?» Des indignés à la commande qui se complaisent à dénoncer
l’égoïsme des Européens, et plus singulièrement celui des Français. Mais
il s’agit là d’une double méprise! Car, en plus d’insulter les
citoyens, ils ignorent profondément les ressorts d’une angoisse qui
s’enracine et s’installe durablement dans nos sociétés. Avoir peur que
son pays change, que sa culture décline, que son identité se dilue, ce
n’est pas être xénophobe mais, au contraire, poser les bases d’un vrai
débat de société. Sans compter qu’un tel phénomène n’est pas le seul
apanage des Occidentaux. Entre pays du Sud, les mouvements migratoires
provoquent les mêmes craintes et les mêmes interrogations de fond qu’il
faut essayer de comprendre au lieu, systématiquement, d’éluder le
problème et de renvoyer chacun à un prétendu racisme.
Conserver sa culture tout en faisant
sienne celle du pays d’accueil fera de tout nouvel arrivant un citoyen
augmenté, autrement dit un citoyen fort de ses racines et solidement
ancré dans le pays hôte
Au contraire, je crois profondément au sens du mot intégration,
différent de l’assimilation qui suppose un effacement total de ses
racines passées. Conserver sa culture tout en faisant sienne celle du
pays d’accueil fera de tout nouvel arrivant un citoyen augmenté,
autrement dit un citoyen fort de ses racines et solidement ancré dans le
pays hôte. Pourquoi les pays maghrébins peuvent-ils demander cela aux
Africains qui arrivent chez eux, et pas les Occidentaux? Pourquoi
accuser un pays européen qui exigerait ce strict minimum de racisme
d’État ou de faire preuve de néocolonialisme?
L’évidence de l’Identité
Nul ne peut sérieusement nier l’apport du christianisme dans notre
culture. De fait, il habite nos villes et nos villages avec les églises
et les cathédrales, mais aussi la littérature, la musique et, plus
largement, se loge dans tous les replis de notre inconscient. Si l’incendie de Notre-Dame de Paris a tant ému,
c’est parce qu’il a justement touché à quelque chose de l’ordre de
l’indicible. Que l’on soit croyant ou non, au moment où les flammes
mangeaient la cathédrale, nous nous sommes sentis orphelins d’une
histoire et d’une identité. Comme si, d’un seul coup, tous les clochers
de France s’étaient tus à jamais. Comme si le temps terrestre et
liturgique s’était bloqué. Comme si quelques grammes d’éternité
s’étaient infiltrés dans les aiguilles des montres, les faisant
s’arrêter. Cet événement nous a poussés à une sorte d’examen de
conscience, ou plutôt de spiritualité. À quoi tenons-nous vraiment?
Pourquoi, au-delà de nos croyances, cet incendie a-t-il fait vibrer une
corde universelle qui touche aussi à l’intime? Ces questions sont
essentielles, tout comme il est important de parler d’identité. Je
l’écris d’autant plus aisément que cela vaut pour de nombreux pays à
culture islamique qui ne se privent pas de tels débats. C’est le cas de
l’Égypte, qui s’est beaucoup interrogée sur son identité lors de la
révolution qui a chassé du pouvoir Hosni Moubarak. En multipliant les
questionnements. L’Égypte est-elle arabe? Méditerranéenne? Islamique?
Éternellement pharaonique? Les échanges, notamment dans les médias,
furent mouvementés, passionnants, et, surtout, ils ont eu le mérite
d’exister. Beaucoup de jeunes ont découvert – ou redécouvert – la
grandeur de leur civilisation à travers la permanence de l’Égypte
éternelle. Et ont pris conscience de l’immense valeur de leur
patrimoine. La question de l’identité a provoqué un profond électrochoc,
faisant émerger des notions comme celle de fierté, dignité ou encore de
racines. La même question identitaire a traversé la Tunisie à cette
période.
Là encore, elle a été abordée sans complexe même si, on s’en doute,
le sujet a suscité de vives controverses entre les tenants d’un islam
politique et les personnes pour lesquelles la religion n’a rien à faire
dans la sphère politique. Le débat a permis aux Tunisiens de se
remémorer les grandes heures de leur histoire lorsque des civilisations
et des peuples comme les Berbères, les Phéniciens ou les Arabes sont
passés par la rive sud de la Méditerranée, en terre tunisienne. La
réflexion a rendu une part de fierté à des citoyens longtemps maintenus
sous un régime autocratique et sans référence culturelle ni historique.
Pourquoi la France ne pourrait-elle pas ou n’aurait-elle pas droit à ce
genre de débat?
L’Impératif de la souveraineté
A-t-on encore le droit de se dire souverainiste en France sans être
immédiatement cloué au pilori par des censeurs aussi mondains que
médiatiques?
» LIRE AUSSI – La souveraineté et l’enracinement, les deux grandes oubliées d’Emmanuel Macron
Seule l’Europe des nations, au sens où de Gaulle l’imaginait,
permettra aux peuples de renouer avec le sentiment de confiance.
Repenser l’Union européenne à partir des nations n’est pas une
proposition, mais la seule chance de survie de l’Europe. Le théoricien
Jean Bodin dès le XVIe siècle l’avait parfaitement compris en
affirmant que les nations sont en péril lorsque les citoyens perdent le
sentiment de former un peuple. Un tel sentiment s’apparente à un
attachement personnel – et peut même revêtir les habits de la foi
religieuse, comme l’a décrit Michelet. Célébrons donc de nouveau ce
sentiment, sans honte ni tabous là non plus. La meilleure manière de
lutter contre les nationalismes – qui sont un repli sur soi et une haine
des autres – n’est pas de rejeter l’idée de nation, mais, au contraire,
de la renforcer. Renouons avec la singularité de l’appartenance.
Affirmons-nous (fièrement) comme un véritable État-nation dans un monde
toujours plus global et libéral. Préservons cette volonté, commune et
affirmée, de vivre ensemble. Considérons la nation au sens où
l’entendaient Bernanos, Fustel de Coulanges ou Maurice Barrès, autrement
dit un concept qui n’a rien à voir avec une vision rabougrie. Le
«nationalisme» – j’entends le mot surtout pas en son sens belliqueux,
d’extrémisme, mais comme un amour du pays – est un humanisme si l’on
considère la nation comme un élément fondamental de la civilisation, qui
elle-même participe à la richesse culturelle universelle. Une
définition qui me fait dire que les États-nations constituent un rempart
indispensable pour assurer le devenir de nos civilisations. Surtout en
période de mondialisation effrénée.

Il est urgent de construire un projet de bon sens ayant pour objectif de renouer avec une vraie souveraineté sans déconstruire ce qui nous unit en Europe. On peut, en effet, remettre en cause l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui sans jeter aux orties l’idée de l’amitié entre les peuples, sans renier le progrès, sans oublier combien le projet européen est porteur de paix. On peut être européen sans adhérer à une Europe libérale d’essence supranationale. La nécessité de renouer avec les États-nations est aussi un antidote à ce qui se prépare en France. Les divisions du pays ne sont plus des «fractures», comme on les appelait autrefois, mais des crevasses, des fossés béants et géants qui empêchent les rapprochements et conduisent, je le crains, à des affrontements inéluctables entre différentes parties de la population. Je n’utilise pas ici le terme de «guerre civile» car je crois – et crains – davantage des affrontements larvés minant doucement, et hélas sûrement, ce qui fait la France et notre nation. Opposons à cette mort lente un sursaut souverainiste.
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Alexandre Devecchio Journaliste au Figaro et au FigaroMagazine en charge du FigaroVox.
Source:© Sonia Mabrouk: «Préférons les gens simples aux soi-disant savants»
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