Le Père Noël est comme tous les Français. Face à la nouvelle flambée de Covid-19, il est bien obligé de composer. Plus possible de prendre les enfants sur ses genoux, encore moins de prêter ses joues barbues pour un bisou. Assis sur son trône rouge, à bonne distance derrière ses petits fidèles, il agite les bras, décoche les sourires en rafale, forme des cœurs avec ses mains. Le photographe fera le reste.
Aux Galeries Lafayette, à Paris, on fait la queue comme à l’aéroport, derrière un cordon sanitaire, pour approcher le vieil homme. La cinquième vague a éteint le feu d’artifice du Nouvel An avant qu’il puisse être tiré de l’Arc de triomphe. Mais, en ce dernier week-end de courses aux cadeaux effrénées, on se bouscule dans ce temple des emplettes. Les escaliers mécaniques sont bondés comme une rame de RER aux heures de pointe. On joue des coudes pour une photo en famille, un selfie avec les succédanés du Père Noël : un astronaute géant qui tutoie la cime du grand sapin sous la coupole, un guitar hero ou un hologramme qui bat la mesure en vitrine.

Au 5e étage, Amandine, 3 ans, petite robe à flocons et serre-tête de renne, est inconsolable. Elle vient de rater son idole, parti en pause casse-croûte. « On est venues d’Angleterre pour le voir », dit la maman, Lise, tout aussi abattue. Dans les bras de sa mère, Amandine ronge péniblement un biscuit pour étouffer sa peine. Lise et Amandine vivent à Liverpool avec le papa britannique. Deux ans qu’elles n’étaient pas revenues en France à cause de cette « maudite pandémie ». Cette fois, c’est passé ric-rac. La petite famille a attrapé un train juste avant la fermeture des frontières bien poreuses au variant Omicron qui déferle sur la France, après avoir atteint le Royaume-Uni, et compte déjà pour 7 % à 10 % des nouvelles contaminations. « Le stress, dit Lise. On ne peut rien prévoir, c’est toujours à la dernière minute avec des règles qui changent tout le temps. C’est insupportable. On a joué le jeu, on est vaccinés, on se fait tester de tous les côtés. On en a marre. »
Une lassitude qui, en cette fin d’année, semble aussi contagieuse, parmi les Français, que les variants du SARS-CoV-2. Oubliée la sidération de la première vague, terminés les applaudissements pour les soignants toujours sur le pont, envolés les espoirs du retour à une vie normale avec le vaccin. Première dose, deuxième dose, troisième dose… les Français ont appris à vivre au rythme des rappels et des tests PCR, un masque sur le nez et le passe sanitaire en poche. La cinquième vague n’a pas encore atteint son pic que plane déjà la menace de la sixième, annoncée après les fêtes. Le sentiment d’un jour sans fin.
« C’est dur de se projeter »
A Lille, le Père Noël a également trouvé la parade. Son masque, il l’a glissé sous sa barbe. Il est installé au village – on ne dit plus marché – de Noël, place Rihour, et il va « très bien » : « On n’a pas les touristes anglais, belges et néerlandais, comme d’habitude, mais les gens sont ravis de nous voir. » Derrière son stand de vin chaud, Caroline, 45 ans, dont vingt au marché de Noël de Lille, veut aussi rester positive : « Déjà, on est là, et c’est magique, dit-elle en rappelant que l’édition 2020 avait été annulée. Mais c’est dur de se projeter. » Eric Virrion, lui, fait grise mine, comme le temps. « C’est un peu morose. Les gens sont focalisés sur le vaccin, on ne ressent pas la magie de Noël », regrette ce Varois de 59 ans. Depuis 1996, il installe son chalet de saucisses et vin chaud en centre-ville. Mais, cette année, son chiffre d’affaires ne décolle pas : « La clientèle du midi est en télétravail. Il faut attendre 18 heures pour voir plus de monde. »

Dans les allées, les badauds respectent les consignes : passe sanitaire obligatoire, fouille des sacs à l’entrée, port du masque. « Il faut arrêter de faire peur aux gens, soupire Isabella, perdue au milieu des boules à neige et casse-noisettes. J’ai arrêté de regarder la télé, trop anxiogène. » Amina, elle, « ne me[t] même plus BFM » et « ne regarde plus les réseaux sociaux : “Y’en a marre, c’est toujours le même bourrage de tête.” » Cette mère au foyer de 27 ans fait partie des six millions de Français toujours pas vaccinés : « Je fais attention aux gestes barrières, mais je suis méfiante pour le vaccin. » Alors elle profite d’une opération de dépistage gratuit à l’hôtel de ville de Roubaix. Maman de trois enfants, Wassila, 33 ans, se dit aussi « saoulée ». « Le fait de ne pas être vacciné, ça nous prive beaucoup, explique cette animatrice jeunesse. J’ai gagné des places pour Disneyland, mais je ne sais pas si on pourra y aller. » Une visite qui sera bientôt impossible sans le futur passe vaccinal que souhaite instaurer le gouvernement.
La résignation et la frustration ne sont pas l’apanage des réfractaires au vaccin. A Marseille, au Café de l’abbaye et au Repaire, la clientèle, en ce début de soirée, se résume aux habitués. On est loin des tablées géantes du début de l’automne, débordant de ces deux terrasses voisines qui offrent une vue époustouflante sur l’entrée du Vieux-Port. Manon Deloffre et Lou Ponton, 28 ans et 29 ans, commerciales d’une appli antigaspi, viennent de commander leurs demis post-travail à l’intérieur du café. « La cinquième vague de Covid ? Ça me donne envie de boire une bière ! », lance Manon, mi-amusée, mi-désabusée. « Il y a un poil d’agacement. Le quotidien est devenu chiant et confus. J’avais l’impression qu’on était sortis de tout ça », poursuit sa collègue.
Vaccinées, « comme des bonnes élèves », les deux amies assurent « être dans une phase où on n’a plus envie de réfléchir à la pandémie ». L’une partira en Thaïlande dans quelques jours, l’autre ne compte pas faire l’impasse sur un Noël normal. « Je vais voir ma famille, mes amis et boire du champagne. Et, cette fois, je ne ferai pas le test, jure Manon. Le Covid a fait plus de mal psychologiquement que médicalement. Après ces deux ans, personne ne peut dire “moi, ça va nickel !” » Elle garde comme une cicatrice le Noël 2020. La Marseillaise n’a pas pu le fêter avec ses grands-parents. « Par crainte du Covid, ils ont annulé au dernier moment. Mon grand-père est décédé depuis. Je n’aurai pas passé ses dernières fêtes avec lui », regrette-t-elle, émue.

L’usure mentale s’accompagne d’un relâchement. Dans l’étroite salle du café, les clients entrent sans porter de masque. Greg Hessmann, 44 ans, le patron, les connaît tous par leur prénom. Il concède qu’il se montre moins pointilleux sur les contraintes sanitaires. « Et les policiers sont comme nous, ils en ont marre », confie-t-il. Au comptoir, Olivier Gondran, gérant du Repaire, venu en voisin, embraye avec un sourire qui en dit long : « Bien sûr, qu’on contrôle », dit-il en sirotant son bock. « Je fais des séries de passes de temps en temps. Une vingtaine sur la terrasse. Ici, on est en plein air », se justifie-t-il.
Commercialement, les deux entrepreneurs assurent que la situation n’est pas catastrophique, même si la période est traditionnellement la plus creuse de l’année. « Depuis quelques jours, j’ai l’impression que les gens ne viennent pas par peur d’être contaminés avant Noël », hasarde Greg. « Il y a deux ans, les clients entraient, restaient debout les uns contre les autres au bar, constate Thomas qui, ce soir, sert derrière le comptoir. Aujourd’hui, quand toutes les tables sont prises et qu’on n’a pas mis les chauffages sur la terrasse, ils repartent. »
Masques sous le menton
Frédéric Rivière, plus connu sous son nom de scène, DJ Anoraak, aurait d’autres raisons de se plaindre. Ce quadragénaire élégant, sacoche à fleurs colorées en bandoulière, a vu, avec la fermeture des lieux de nuit, certaines de ses dates annulées en cette fin d’année. « Mais je ne me plains pas, j’ai réussi ric-rac à boucler mon statut d’intermittent en décembre. Je sais que d’autres musiciens ont dû prendre un job alimentaire, relativise-t-il. Mon père a connu la guerre et je me dis que notre génération n’a pas vécu un truc aussi dur. » Selon DJ Anoraak, la vie nocturne ne s’est pas éteinte partout de la même manière. « Ici, les jeunes s’en foutent, ils continuent à faire la fête », ajoute Greg.

Les jeunes ! Le nouveau péril. Station Bellecour, à Lyon, quatre jeunes femmes arrivent, hilares, dans le métro, téléphone en main. Aucune ne porte un masque. « Ça vous regarde ? », lancent-elles, d’un ton agressif, en guise de justification. « Enlever son masque une fois dehors, on adore ! Mais pas dans les transports » : à l’automne, le Syndicat des transports lyonnais a relancé une campagne de rappel des gestes barrières. « Ceux qui ne portent pas le masque ou font semblant, ce sont toujours un peu les mêmes, des irréductibles, ceux qui ne respectent aucune règle civique », dit un agent de ligne expérimenté.
Selon les comptages des Transports en commun lyonnais, le port du masque est plutôt « bien respecté » par l’immense majorité des usagers, « de l’ordre de 95 % ». Dans une rame de la ligne A, en ce début d’après-midi, dix voyageurs sur une soixantaine portent bien le masque, mais sous le nez ou carrément sous le menton. « Ça dépend des heures, quand c’est la cohue aux heures de pointe, j’ai l’impression que les gens font plus attention. Aux heures de sortie des cours, les jeunes sont très relâchés », témoigne Norah, 48 ans, très précautionneuse, au point de proposer du gel hydroalcoolique à ses voisins. « Tout le monde en a marre, mais il faut tenir le choc. Il faut faire attention si on veut garder une vie sociale, voir ses enfants, confie, prudente et résignée, Régine, 65 ans. Il faut s’y faire, la fin de l’épidémie, ce n’est pas pour demain. » Un pronostic que ne vont pas démentir les Hospices civils de Lyon (HCL) avec plus de 93 % des lits de réanimation occupés. « Les soignants espèrent que le respect des mesures barrières va continuer en période de fêtes », martèle la direction des HCL.
Pharmacie en surchauffe
Le degré de cette cinquième vague se mesure aussi à la longueur des files d’attente devant les laboratoires et les pharmacies. Le nombre de tests PCR et antigéniques a atteint 5,86 millions la semaine du 6 décembre : nouveau record, série en cours. A Bordeaux, où le taux d’incidence dépasse les 500 cas pour 100 000 habitants, la Pharmacie des Grands Hommes est ouverte 365 jours sur 365. Ces derniers temps, elle est en surchauffe : 1 796 tests en novembre, déjà plus de 3 000 en décembre.

Louna et Rémi, 21 ans et étudiants en sciences et techniques des activités physiques et sportives, deux doses de vaccin, ne s’étaient plus fait tester depuis l’été. Louna s’inquiète de la recrudescence de cas autour d’elle : « Une de mes amies fait du rugby, il y a dix-huit cas dans son équipe ! » Juste derrière, dans la file d’attente, Julie, 28 ans, vient se faire tester par précaution, avant la fête des 30 ans d’une amie, prévue le lendemain : « On se fait tous tester. » Après l’anniversaire, direction la Normandie pour passer les fêtes en famille. Là aussi, le mot d’ordre : faire un test d’abord. « Cette cinquième vague m’inquiète », confie la jeune femme, qui serait plus rassurée avec une troisième dose de vaccin : les études suggèrent qu’elle est indispensable pour maintenir une efficacité face à Omicron. Elle n’a pas trouvé de rendez-vous à Bordeaux. « Un centre a ouvert sur les quais, mais ils ne proposent que du Moderna, et je préfère Pfizer. » Elle tentera sa chance en Normandie.
Dans le Loir-et-Cher, la tension est moins forte. Le taux d’incidence est à peine au-dessus de 200 cas pour 100 000 habitants. « Ta petite fille va bien ? Ça grandit vite, n’est-ce pas ? » Ils sont arrivés de Chouzy-sur-Cisse, de Cheverny et d’ailleurs en Sologne, pour participer à leur assemblée générale annuelle. Une quinzaine de présidents de centres équestres du département, associatifs ou privés, sont installés côte à côte, autour d’une longue table en U. « Beaucoup sont absents, regrette Agnès Moreau, la secrétaire, et jurée bénévole à ses heures. Certaines personnes se sont excusées en expliquant qu’elles n’ont pas encore eu la possibilité de se faire vacciner. Il faut dire qu’elles vivent dans des zones particulièrement éloignées. »
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