FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Le philosophe revient sur l’année 2020 marquée par la pandémie et les attentats islamistes. Il fait aussi l’éloge de la poésie, de la gastronomie, de la peinture, toutes ces beautés trop souvent oubliées, selon lui, par le système d’information.
Michel Onfray est philosophe, essayiste, écrivain, professeur et désormais directeur de publication a lancé depuis plusieurs mois une revue trimestrielle qui entend rassembler les souverainistes de tous bords.
FIGAROVOX. – L’année 2020 s’achève dans une France et un monde totalement transformé. Le Covid et ses conséquences seront-ils la matrice du monde qui vient?
Michel ONFRAY. – Les complotistes inversent les causalités: le virus n’a pas été créé pour produire le monde à venir mais le capitalisme, dont la plasticité opportuniste est la définition même, va utiliser l’épidémie à son avantage.
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Or l’état de siège dans lequel se trouve l’Europe permet au capitalisme d’avancer ses pions: le télétravail s’avère une implacable machine à pointer et à contrôler le travail de l’employé, donc son efficacité, sa rentabilité ; les cours en «distanciel» comme il est dit dans un affreux néologisme opposé au «présentiel», permet d’envisager l’éducation nationale avec un seul professeur par matière (qu’on imaginera choisi comme il se doit…) dont le cours serait dupliqué en direction de tous les ordinateurs d’élèves ; le traçage numérique renforce et magnifie la puissance du téléphone portable comme instrument de servitude volontaire ; l’emprunt européen assure la pérennité de l’Europe qui s’avère le principal rouage de la machine mondialiste ; le favoritisme accordé aux supermarchés autorisés à rester ouverts et à la vente en ligne qui n’a jamais si bien fonctionné, le tout au détriment des petits commerces décrétés «non-essentiels» ; la destruction de la culture qui passe ainsi aux mains des riches producteurs monopolistes d’événementiel baptisé culturel – tout cela permet de contrôler plus que jamais dans l’esprit orwellien: la productivité au travail immédiatement surveillée, l’éducation devenue franchement endoctrinement, la téléphonie mobile comme instrument de la soumission, l’Europe confortée dans son rôle de machine à générer de la mondialisation, la concentration du commerce dans les mains des grands groupes, la culture devenue produit du marché: voilà vers quoi va le monde de demain!
Time considère que cette année est la pire de l’histoire de l’Humanité. Comment jugez-vous cette exagération?
C’est une bêtise de journaliste qui ignore l’Histoire… Quid de Tamerlan? De Gengis Khan? D’Hitler? De Staline? De Mao? Quid des épidémies de peste qui tuaient par millions des populations du Moyen-Âge bien moindres que celles d’aujourd’hui?
Nous vivons sous un régime (…) qui est un mélange de socialisme ou de communisme pour les libertés individuelles et (…) de libéralisme autoritaire et étatique (…) pour l’économie
Il est vrai que Time n’existait pas à l’époque de la Grande Peste et que les journalistes croient que le monde n’existe pas sans eux, donc qu’il n’a pas existé avant eux! Et, hélas, ils ne sont pas les seuls à penser ainsi…
À l’état d’urgence sécuritaire provoqué par les attentats a succédé l’état d’urgence sanitaire tandis que la convention citoyenne pour le climat invoque l’état d’urgence écologique. Sommes-nous condamnés à vivre dans l’état d’urgence permanent?
Depuis que le peuple ne fait plus la loi en politique, c’est-à-dire depuis que le général de Gaulle a été congédié par les partis de gauche et de droite en 1969, nous vivons sous un régime saint-simonien qui est un mélange de socialisme ou de communisme pour les libertés individuelles et, paradoxalement, de libéralisme autoritaire et étatique, via l’État européen, pour l’économie. Le sociétal pour la gauche et le libéral pour la droite – Cohn-Bendit triomphe en figure emblématique de ce monde-là…
Saint-Simon comptait sur les industriels, les banquiers, les journalistes, les philosophes, les entrepreneurs, les bâtisseurs, les assureurs pour remplacer «la politique» par une gestion prétendument apolitique – mais c’était celle du capital… Pour réaliser ce projet, il faut évincer le peuple qui est gênant…
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Référendum sollicité puis mis à la poubelle, coup d’État du Congrès en 2008 contre le peuple qui avait voté non au Traité européen en 2005 et qui voit son vote déchiré et sa décision méprisée, matraquage médiatique pour criminaliser la pensée anti-maastrichienne, éviction des pensées alternatives sur le service public qui active la censure avec l’argent du contribuable contre le contribuable, campagnes de dénigrement médiatique de toute pensée libre dans la presse possédée par des milliardaires qui souscrivent à ce projet saint-simonien, le contrôle et la censure fonctionnent depuis des décennies.
Rien de bien neuf aujourd’hui: nous vivons dans un état d’urgence idéologique qui suppose des variations sur plusieurs thèmes: le climatique, l’écologique, le sanitaire, le sécuritaire, etc.
Qu’inspirent au philosophe les termes de «distanciation sociale», «gestes barrières», confinement?
C’est très exactement le retour des frontières fustigées par les maastrichiens au pouvoir en France depuis trois décennies! En fonction de la jurisprudence Mitterrand selon laquelle la frontière c’est la nation, la nation le nationalisme, le nationalisme la guerre, il faut être absolument européiste, cosmopolite, internationaliste, mondialiste sauf à être fasciste, belliciste, sinon «national et socialiste» comme l’écrivait Philippe Val dans Charlie Hebdo!
Or, cette frontière entre les nations fustigées par les saint-simoniens au pouvoir, on la restaure partout ailleurs: frontière entre les jeunes et les vieux, frontière entre les gens d’ici et ceux qui viennent d’ailleurs, frontières entre celui qu’on croise dans les rues et soi, frontière entre grands-parents et petits enfants, frontières entre gens des villes et gens des campagnes, frontières entre départements verts et départements rouges, et puis, ces dernières heures, frontière entre l’Angleterre et la France! Pour un virus qui, si l’on en croit les maastrichiens, ignore les frontières, voilà beaucoup de chapeaux à manger!
La religion de l’Autre , l’altérophilie, a été remplacée par l’altérophobie dont l’impératif catégorique est : l’Enfer, c’est les Autres…
La grande leçon est que la jurisprudence Mitterrand est une sottise! Outre que ce sont les Empires ou les désirs d’Empire qui conduisent à la guerre et non pas les nations – en 14-18 ce sont des Empires qui s’opposent pas des nations et ce sont des Empires qui s’effondrent dans la foulée…- , ce sont les frontières qui protègent, la preuve en est donnée avec le confinement, les gestes barrières, la préconisation du masque, la désinfection des mains au gel hydro alcoolique, autant de gestes qui instaurent et établissent des frontières. La religion de l’Autre , l’altérophilie, a été remplacée par l’altérophobie dont l’impératif catégorique est: l’Enfer, c’est les Autres…
Les libertés les plus élémentaires ont été (certaines le sont encore) suspendues à cause du virus. Craignez-vous qu’il soit difficile de les retrouver?
Je ne crois pas que le Président de la république, ni même le restant des pays du monde, aient intérêt à ce que tout cela dure: une économie à l’arrêt ne saurait être l’idéal de gens dont le projet est un grand marché planétaire destiné à nourrir la religion du profit. On ne peut transformer indéfiniment en salariés payés par l’État, en fonctionnaires donc, des commençants qui veulent vivre de leur travail.
Ce paiement est d’ailleurs effectué avec un endettement qu’il va falloir rembourser. On ne peut tabler sur une dette creusée sans limite. Et je ne suis pas de ceux qui croient possible un effacement de la dette comme par enchantement. Ni les banquiers ni les assureurs n’ont intérêt à cela et ce sont eux qui mènent le monde.
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Quand le vaccin aura obtenu une immunité nationale, si d’ici là les obscurantistes n’ont pas triomphé, l’économie reprendra et avec elle reviendront les libertés perdues. Je vois mal qu’on puisse proroger l’interdiction des magasins dit non-essentiels, les bars et les restaurants, les lieux de culte et les musées, les pistes de ski et les salles de concert ou de cinéma, une fois le COVID derrière nous.
Mais la restriction des libertés est une affaire qui date d’avant le Covid sans que la plupart n’aient cru bon de crier au loup. Je le fais pour ma part depuis bien longtemps, permettez que je renvoie à mon Théorie de la dictature… Et elle durera après.
Cette année fut aussi celle de la résurgence d’un terrorisme islamiste de plus en plus ordinaire. À travers la figure de Samuel Paty et celle des victimes de l’attentat de Nice, la France a été frappé dans son attachement à la liberté d’expression, à l’enseignement comme dans ce que Pierre Manent appelle «la marque chrétienne». Avons-nous trop vite oublié ces ignobles assassinats?
Je ne dirai pas «résurgence» mais «continuation»… La liste des attentats islamistes en France est longue comme un jour sans pain et ce depuis des années. Les médias dominants sont contaminés par le gauchisme culturel issus de Soixante-Huit pour lequel l’islamo-gauchisme fait la loi.
Il y a des degrés dans l’islamo-gauchisme qui contamine toute la gauche (…) mais également la droite maastrichienne – qu’est-ce qui différencie Juppé et Fabius en la matière ? Rien…
De sorte que ces attentats sont présentés comme des faits divers à bas bruit générant des effets islamophobes considérables par la totalité du service public qui endoctrine l’auditeur avec l’argent du contribuable, mais aussi par nombre de journaux privés qui souscrivent à cette fiction et valident. Car il y a des degrés dans l’islamo-gauchisme qui contamine toute la gauche, d’autant plus qu’elle est de gauche, mais également la droite maastrichienne qui n’est guère éloignée de ce catéchisme de l’époque – qu’est-ce qui différencie Juppé et Fabius en la matière? Rien…
Donc bien sûr que nous oublions trop vite ce que nous ne pourrons plus nier un jour. Lire ou relire Soumission de Houellebecq, le scénario est écrit. Il existe une version moins light que celle du prix Goncourt, c’est celle de Laurent Obertone, Guérilla – un auteur qui sent autant le souffre que Brasillach dans les médias français!
La dernière livraison de votre revue, Front populaire, s’attache à montrer la France que vous aimez. Malgré une situation objectivement critique, faut-il sortir de la déploration?
J’aimerais… Mais nous sommes dans une logique de haine de soi générée par les indigénistes, les décoloniaux, l’extrême gauche, les islamo-gauchistes et le système médiatique qui a envie et besoin du buzz plus facile à obtenir avec le dissensus qu’avec le consensus.
J’ai publié une dizaine de recueils de poésie, une autre dizaine de livres pour faire l’éloge de peintres vivants, parmi lesquels Ernest-Pignon Ernest et Garouste, Combas et Adami, une douzaine de livres d’une contre-histoire de la philosophie pour célébrer une cinquantaine de philosophes que je mets ou remets sur le devant de la scène en en faisant l’éloge, une petite dizaine de récits de voyages, soit une quarantaine de livres: aucun écho médiatique, aucun débat, pas de presse, car il faut de quoi créer des clashs bons pour l’audience qui fait désormais la loi.
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Or nous disposons d’une quantité d’occasions d’être positifs: car, si nous sortons de l’entre-soi mondain et parisien visible dans les émissions dites culturelles à la télévision, nous avons de grands peintres, de grands musiciens contemporains, de grands écrivains, de grands artistes, de grands dramaturges, de grands photographes, de grands cuisiniers, de grands œnologues et de grands viticulteurs, de grands paysagistes, de grands stylistes, mais ils ne sont jamais mis en évidence.
Par exemple: quand il s’agit de gastronomie, ce sont toujours les mêmes grands chefs qui sont médiatiquement mis en avant – il est vrai que certains journalistes qui leur offrent la rhubarbe dans les colonnes de leurs journaux se voient offrir généreusement le séné dans les établissements vantés où ils ont table ouverte!
C’est la cuisine terroir qu’on scénographie qui ridiculise les campagnes dans lesquelles on cherche des péquenots bien typés
Les émissions de cuisine sont faites sur le principe du libéralisme avec des chefs qui se comportent comme des adjudants et virent tel ou tel qui a raté sa sauce pour n’en garder qu’un qui pourra plus facilement négocier les avances de trésorerie de son affaire avec un banquier. Le concept est darwinien, les moins adaptés jartent, les gagnants du combat de la lutte pour l’existence et du triomphe des plus adaptés à la jungle deviennent des héros d’un jour…
Quand ça n’est pas cela, c’est la cuisine terroir qu’on scénographie qui ridiculise les campagnes dans lesquelles on cherche des péquenots bien typés pour célébrer la boulette d’Avesnes qui pue ou les tripoux qui en rajoutent… J’ai entraperçu l’autre jour sur France 3, chaine des provinces et du service public s’il en est, une compétition entre chefs régionaux qui avait lieu sur un plateau… recouvert de paille éparpillée! Comme si les provinciaux vivaient comme des bêtes dans une étable.
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Pas d’émissions qui célèbrent le patrimoine ou l’histoire en dehors de comédies grotesques, parfois en costume d’époque, qui font paraitre Alain Decaux pour un clone de Jacques Le Goff, aucune sur l’art contemporain qui permettrait de rencontrer des artistes dans leurs ateliers où ils nous expliqueraient leur travail, sinon une minute assurée par une VRP des médias qui débite un texte défilant sur un prompteur, rien sur la musique d’aujourd’hui qui pourrait pourtant être aimée si on la faisait entendre en l’expliquant, les émissions littéraires qui désormais se contentent de passer les plats du marché des livres…
La déploration fatigue d’autant plus que les occasions de célébration ne manquent pas.
Quels sont vos vœux pour l’année 2021?
J’ai passé l’âge de croire au pouvoir performatif des vœux…
Source:© Michel Onfray: «Sortir de la déploration, de la logique de la haine de soi»
Michel Onfray: «Sortir de la déploration, de la logique de la haine de soi» added by RichardA on
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bien négatif ce Michel Onfray !