Mathieu Bock-Côté: «Djihadistes français: de la trahison»

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CHRONIQUE – La France doit-elle accepter le retour de combattants qui ont renié la nation et ses valeurs? Les grilles d’analyse traditionnelles ne permettent pas d’apporter une réponse efficace et satisfaisante. Car les djihadistes français ne sont pas simplement des criminels, mais des traîtres.

Il y a peu de questions aussi délicates que celle du retour des djihadistes occidentaux dans leurs pays respectifs,
et elle fait débat en France en particulier. Faut-il accepter qu’ils
reviennent, et si oui, à quelles conditions? Que faire de ceux qui se sont engagés dans une «guerre sainte» contre leur civilisation et leur pays,
et qui aujourd’hui, espèrent souvent y revenir en étant traités comme
des citoyens de plein droit. Même la question des enfants, aussi
déchirante soit-elle, ne se laisse pas traiter en des termes simplement
humanitaires, comme l’a finement posé Sonia Mabrouk dans son roman Dans leur cœur sommeille la vengeance,
consacré aux lionceaux de Daech. Mais ce qui frappe, surtout, au-delà
des questions prosaïques posées par le retour des djihadistes, c’est la
confusion intellectuelle qui l’entoure. Comment les considérer du point
de vue de la communauté nationale? C’est là que surgit un terme que la
philosophie politique contemporaine semble proscrire: la trahison. Nous
avons une étrange difficulté à dire: ce sont des traîtres. Comme si ce
terme heurtait la conscience contemporaine, qu’il était trop dur.
Raymond Aron était le premier à convenir du flou qui entoure la notion
de trahison, mais il ne la congédiait pas pour autant. Une philosophie
politique incapable de la prendre au sérieux est une philosophie
politique de temps de paix.

La nation nous engage dans le monde
et on ne saurait se retourner contre elle en lui déclarant la guerre
sans rompre radicalement avec elle, de manière irréversible

On a tendance à dissoudre la question de la trahison dans une forme
de relativisme reconnaissant à chacun de bonnes raisons à son
engagement. Le djihadiste français ne trahirait que de notre point de
vue. Du sien, il servirait une cause légitime justifiant le plus grand
sacrifice, ce qui devrait presque nous pousser à le comprendre, voire à
le respecter. C’est oublier que la nation n’est pas qu’une fiction
historique mais qu’elle nous engage dans le monde et qu’on ne saurait se
retourner contre elle en lui déclarant la guerre sans rompre
radicalement avec elle, de manière irréversible.

Certes, après
une guerre civile, il peut être nécessaire de rassembler des fils
divisés, qui se sont accusés mutuellement de trahison pendant un temps.
C’est le rôle d’un grand réconciliateur, capable de réparer la pire des
fractures, celle du corps politique. Mais ce n’est pas de cela dont il
s’agit ici. Nous sommes devant de vrais renégats, qui se sont rendus
coupables de félonie. Cette déloyauté absolue n’entre pas dans les
catégories ordinaires du droit. Quel que soit le traitement qu’on leur
réserve, on ne saurait les considérer comme des citoyens parmi d’autres.
Il y a des limites à l’humanitarisme sénile. Un juridisme extrême
condamne à l’impolitique. Leur geste implique un traitement d’exception
qui ne relève pas de l’évidence. Quand elle est possible, la déchéance
de nationalité devrait au moins aller de soi.

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On
ne saurait se laisser bluffer non plus par cette mauvaise blague en
forme de théorie de psychologie populaire qu’est la déradicalisation. La
déradicalisation postule que l’homme parti faire le djihad est un
dérangé, troublé psychiquement, et non pas, tout simplement, un ennemi
qui a consciemment décidé de s’enrôler dans une «guerre sainte». On
s’imagine qu’il suffirait de trouver les bons arguments, et les bons
mots, pour qu’au terme d’une thérapie modératrice, il réintègre la
communauté nationale. Ici, le djihadiste est victimisé. Justin Trudeau,
au Canada, a même laissé entendre que les ex-djihadistes repentis
pouvaient servir d’exemple à leurs concitoyens, pour les dissuader de
basculer dans le terrorisme. Au mieux, cela relève du comique
involontaire.

On est en droit de se demander si
les djihadistes n’étaient pas que des Français entre guillemets,
jouissant de droits qu’ils n’ont jamais équilibrés avec quelques
devoirs, qu’ils n’ont jamais aimés non plus

Ce qui surgit en fin d’analyse, c’est la question de la nation,
qu’on ne saurait plus enfermer dans une définition strictement
juridique, seule censée correspondre aux «valeurs républicaines». Quoi
qu’on en dise, la nation n’est pas qu’une construction formelle. Elle a
une part charnelle, affective, qui engage le cœur et l’âme. Mais
rappeler cela fait désormais scandale. On est en droit de se demander si
les djihadistes n’étaient pas que des Français entre guillemets,
jouissant de droits qu’ils n’ont jamais équilibrés avec quelques
devoirs, qu’ils n’ont jamais aimés non plus. Leur cas n’est-il pas
symptomatique d’une décomposition identitaire grave? Ces hommes
auraient-ils senti monter en eux la vocation au djihad s’ils avaient
vécu dans un environnement culturel cultivant une représentation du
monde qui lui est favorable?

Dès lors, la question des
djihadistes français qui après leur aventure syrienne, espèrent revenir
chez eux, et trouvent des alliés pour les soutenir, révèle surtout
l’impuissance politique et intellectuelle des nations occidentales, et
leur difficulté à comprendre leur basculement dans des temps tragiques.

Mathieu
Bock-Côté sera l’invité des «Grandes Rencontres du Figaro», Salle
Gaveau, à Paris, le 15 avril. Pour réserver, cliquez ici ou appelez le
01 70 37 31 70
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Mathieu Bock-Côté

Source :© Mathieu Bock-Côté: «Djihadistes français: de la trahison»

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