
En juin, le Medef renonçait à inviter Marion Maréchal à son université d’été. Elle revient dans une tribune sur les principes économiques qu’elle aurait aimé pouvoir développer à cette occasion.
J’ai failli, en ce jour, débattre à l’université d’été du
Medef. Du moins, avant que je ne devienne la spectatrice amusée de mon
débarquement, subi avant même que j’aie définitivement validé ma
participation. Dans ce monde, le politiquement correct l’emporte
manifestement sur la politesse la plus élémentaire. J’aurais dû débattre
du « populisme » ou plutôt, il me revenait de le représenter. Mais le
progrès des progressistes s’arrête aux portes du débat contradictoire.
Certains ont néanmoins tenté de justifier mon invitation par mon
étiquette « libérale ». Un qualificatif tantôt infamant, tantôt
valorisant selon le commentateur. La difficulté du dialogue dans cette
démocratie tient pour partie au fait que ce type de mot valise ne
recouvre pas nécessairement la même réalité, ni le même sens dans la
bouche de ceux qui l’utilisent.
Ce terme « libéral», selon qu’il renvoie à une doctrine économique ou
à une philosophie politique, recoupe des notions variées voire
contradictoires selon les époques. Je n’ai pas l’espace ici de revenir
sur ses différentes acceptions dans l’histoire des idées politiques ou
de la pensée économique. Je m’en tiendrai donc à ce qui ne fait pas
débat : son étymologie. Libéralisme découle du mot liberté.
De fait, s’il est bien une question fondamentale pour moi en
économie, c’est celle de la liberté. L’une des premières choses que fit
le général de Gaulle en arrivant au pouvoir en 1958 fut de s’atteler au
redressement économique et financier de la France. En l’occurrence, il
ne se soumettait pas à je ne sais quel diktat capitaliste, il n’était
pas non plus obsédé par une vision comptable du remboursement de la
dette : il agissait en patriote soucieux de l’indépendance française. Le
Général avait simplement compris qu’un budget public sain est la
condition de la liberté politique. Car quiconque dépense plus qu’il ne
produit de richesse est condamné à emprunter à d’autres. Nous payons
aujourd’hui nos fonctionnaires et notre politique sociale avec de
l’argent à crédit dont les intérêts constituent le deuxième poste de
dépense de l’Etat. Et notre dette est contractée majoritairement auprès
de non-résidents. La menace permanente d’une « perte de confiance des
marchés financiers » et d’une augmentation même dérisoire de notre taux
d’emprunt tétanise nos gouvernants. Cette épée de Damoclès les conduit à
sacraliser les marchés financiers en condamnant notre pays à
l’application docile de recommandations émanant d’instances lointaines
et idéologues: BCE, FMI, commissaires européens. Si notre dette n’était
pas aussi importante, ou du moins si elle ne servait pas principalement à
financer nos dépenses de fonctionnement, nous n’aurions de compte à
rendre à personne mais surtout la voix française pèserait bien davantage
dans les rapports de force internationaux, notamment au sein de l’Union
Européenne. La puissance a changé de visage : autrefois déterminée
principalement par la géographie, la démographie, la capacité militaire,
elle est aujourd’hui largement tributaire des flux, autrement dit de
l’économie et de l’influence.
Emmanuel Macron a échoué à imposer la voix de la France dans le
concert européen car nos partenaires ne souffrent pas de recevoir des
leçons d’un pays « en faillite », en particulier dans un système
politiquement européen précisément construit sur l’économie. Si l’enjeu
de la liberté est d’abord politique, cet enjeu est aussi celui de la
liberté personnelle dans un pays champion du monde de la pression
fiscale, dont les prélèvement totalisent plus de 45% du PIB français.
Il n’est pas illégitime de se poser la question du respect de la liberté
individuelle quand la puissance publique capte près de la moitié de
l’argent que vous gagnez. Dans ce sujet économique, se pose
immanquablement la question de la place de l’État, de son périmètre, de
ses missions et de ses moyens.
Le capitalisme ne peut pas fonctionner grâce aux seules forces du
marché. L’Etat est nécessaire pour protéger les marchés, punir les
tricheurs, éviter les ingérences extérieures, protéger les secteurs
stratégiques, garantir des investissements de long terme qui n’attirent
pas les capitaux privés, créer des infrastructures, soutenir les plus
fragiles mais aussi et surtout pour assurer les fonctions régaliennes en
particulier la sécurité, la défense et la justice qui ne peuvent
fonctionner équitablement dans le cadre d’un marché concurrentiel.
Force est de constater que malgré un niveau record de dépense
publique et donc de prélèvements, l’Etat peine à assurer convenablement
ses missions fondamentales. Rien de surprenant pour un État de plus en
plus tentaculaire qui tend à s’ingérer dans tous les niveaux de notre
existence, bien loin parfois du rôle qui lui est initialement dévolu.
Nos concitoyens ont le sentiment légitime de payer toujours plus, que
l’effort pèse toujours davantage sur les mêmes, pour des services
publics de moins en moins efficaces et de plus en plus éloignés. Et de
fait, ils n’ont pas tort. Le gouvernement a pour interlocuteur
économique privilégié de grandes entreprises internationalisées qui ont
les moyens de se soustraire au carcan financier, juridique, social
imposé par l’Etat ; pour autant les choix politiques s’imposeront aux
TPE, PME et ETI pourtant premières créatrices d’emplois.
Le chef d’entreprise, l’artisan, le commerçant, les ménages usent
leurs forces à financer le puits sans fond d’un chômage structurel,
d’une immigration délirante et extrêmement coûteuse qui vient profiter
des largesses de notre système social, ou de privilèges bien installés
dont l’existence ne se justifie plus : songeons au financement public
des syndicats, à des systèmes comme celui des intermittents du
spectacle, aux gabegies dans la formation professionnelle, à
l’empilement des strates administratives etc… Tant de dépenses qui, non
seulement ne sont pas réduites, et sont même encouragées par des taux
d’intérêts extrêmement faibles, une facilité en trompe l’œil, garantie
par notre appartenance à la monnaie unique.
Les gouvernements successifs ont cru trouver la solution dans une
ouverture de plus en plus large des marchés à l’international sans
jamais s’attaquer aux réformes structurelles qui permettraient de
baisser les impôts au bénéfice de l’économie réelle et d’investir dans
les infrastructures et les secteurs d’avenir. Une double erreur qui,
conjuguée aux méfaits d’un euro fort, entretient un taux de chômage
avoisinant les 10% et asphyxie les entreprises qui ne parviennent plus à
assurer leur trésorerie.
Je suis convaincue qu’il existe une troisième voie entre un
socialisme étatique qui n’a aucun scrupule à capter un maximum de
ressources produites par le privé pour les redistribuer selon son
idéologie, et un néolibéralisme qui croit par principe que la
privatisation d’un service public le rendra nécessairement plus
efficace, ou qui dénie à l’Etat tout rôle économique. Je préfère un État
attelé à garantir, y compris au niveau européen, notre souveraineté
numérique et la protection de nos données face aux GAFA plutôt qu’un
État nounou qui dorlote le profiteur et décourage l’entrepreneur.
A vrai dire, les défis que l’Etat doit relever sont énormes si l’on
souhaite réduire significativement le poids des impôts et des taxes sur
les Français et augmenter ainsi leur pouvoir d’achat. Il faut être prêt à
faire des choix, à évaluer les politiques publiques et, au besoin, à
les réorienter fondamentalement . Rien ne changerait si l’Etat
continuait à créer des effets d’aubaine par des politiques de subvention
qui deviennent des rentes. Ou s’il s’empressait de réglementer toutes
les nouvelles initiatives.
Nous pouvons trouver un exemple significatif de ces effets d’aubaine
dans un domaine pourtant essentiel : l’écologie, avec le soutien
artificiel à certaines énergies renouvelables… L’Etat peut poser des
cadres, en concertation avec le reste de la communauté internationale ;
mais rien ne remplacera l’entrepreneur qui, sur le terrain, innove dans
l’économie verte ; ou le collectif d’individus qui créent un écosystème
régénératif, selon une logique de circuits courts et de marché de
proximité. L’Etat a le devoir de faciliter ses initiatives par une
fiscalité incitative ou un accompagnement, pas de s’y substituer. Je ne
crois pas non plus aux vertus de la fiscalité punitive, ni que l’Etat
soit nécessairement plus efficace que le citoyen.
Il y a de nombreux secteurs où l’Etat pourrait laisser davantage de
place au privé comme l’éducation ou la culture. Il y en a d’autres où
il pourrait changer radicalement sa politique de redistribution : si
l’on veut lutter contre la « France du vide », il faut remailler le
territoire, encourager la déconcentration des grandes villes au profit
de villes moyennes où le prix des logements soit abordable, où les
trajets vers le lieu de travail soient réduits. Autrement dit plutôt que
la France des 21 métropoles, il nous faut viser la France des 100
villes. Il est urgent d’investir dans l’avenir des « villes
intermédiaires », ces villes qui bénéficient encore d’un capital
attractif pour les ménages et les entreprises mais se dévitalisent petit
à petit, aspirées par les grandes métropoles. Reims, Le Mans,
Perpignan, Colmar ne sont pas condamnées à rejoindre la « France
périphérique » si l’Etat y conduit une véritable stratégie culturelle,
éducative, économique. Il y a des secteurs enfin, où l’Etat peut faire
le choix de réduire son champ, comme en politique sociale, où il serait
souhaitable de mettre en place une priorité nationale permettant aux
nationaux de bénéficier prioritairement, voire exclusivement selon les
cas, des aides sociales.
Notre pays ne peut malheureusement pas se contenter de vivre sur ses
acquis en regardant désabusé la disparition progressive de la classe
moyenne et la relégation croissante des classes populaires. L’avenir
appartient aux nations indépendantes qui déploient une véritable
stratégie industrielle, qui refusent la colonisation économique de
puissances étrangères dans des secteurs stratégiques comme l’industrie
de défense ou l’agriculture, qui défendent leur souveraineté notamment
numérique, qui favorisent les produits fabriqués sur leur territoire,
qui protègent leurs ressources par une écologie concrète et non
idéologue, qui orientent l’investissement vers l’innovation et
l’éducation.
L’économie n’est ni une science, ni une religion. Elle n’est pas une
fin en soi mais un outil, elle ne régit pas la société mais doit se
mettre au service de son harmonie. Pour cela, je crois qu’il n’y a pas
de meilleur objectif que la poursuite de la liberté politique ni de
meilleur moyen que la liberté offerte à chaque entreprise de s’épanouir
et à chaque citoyen de vivre décemment de son travail.
Les commentaires de cet article sont à lire ci-après
Source:© Marion Maréchal : “Ce que j’aurais dit au Medef si on m’avait laissé y aller”
Excellente analyse !