L'odeur de la poudre - Causeur

Home»A LA UNE»L’odeur de la poudre – Causeur

Jean-Paul Brighelli a un mauvais pressentiment

Cela m’a pris fin août, en rentrant à Marseille après deux mois
d’absence et de rase campagne. En descendant les escaliers de la gare
Saint-Charles. Une sensation diffuse, et qui ne ressemblait à rien de
connu, au fur et à mesure que j’allais vers la ville. Une rumeur qui me
courait sur la peau. Une odeur, aussi — l’odeur sans parfum de
l’adrénaline, et de la peur, l’odeur que les chiens ou les chevaux
reniflent à plein nez. La perception, aussi, sur les visages des
passants, d’une hâte, d’une angoisse — sous les rires et les
rodomontades marseillaises. Soudain, des éclats de voix entre deux types
qui s’invectivent — ou peut-être se contentaient-ils d’évoquer leurs
affaires, mais en gesticulant, comme ils font tous désormais : au lycée
même les élèves ne savent plus parler autrement qu’en hurlant. Je
descendais les escaliers — calqués sur ceux d’Odessa, c’est écrit sur
une plaque, tout en haut — comme on descend vers le gouffre.

La
Bête est réveillée. Quelques jours plus tard, à Paris, j’ai senti les
mêmes effluves. Éprouvé les mêmes sensations. Le même feu glacé. Dans
les regards des passants qui se fuyaient, j’ai lu la même angoisse. Je
n’étais pas le seul à flairer la panique.

A lire aussi: Vive Fatiha, vive Zineb, vive la France!

Une
odeur de violence plane désormais sur la France. Nous sommes absolument
mûrs pour une guerre civile, qui ne prendra peut-être pas la forme
ritualisée des manifs qui dégénèrent, mais qui explosera — qui explose
déjà — dans des coins obscurs, des quartiers difficiles, puis descendra
vers le centre-ville, et guettera les bourgeois au coin de leur quiétude
inquiète. On s’enflamme pour des riens. On agresse pour pas
grand-chose. On attaque les forces de l’ordre qui n’osent pas riposter,
parce qu’un coup de feu tiré aujourd’hui serait payé très cher demain —
mais qui en ont assez de servir de cibles. Zineb El Rhazoui a raison de
dire qu’il faut riposter avant de mourir. Ce sont d’ailleurs les termes
mêmes de la loi sur la légitime défense. Qu’un rappeur à son tour la
menace est un épiphénomène : chacun se croit libre désormais de tirer à
vue — en paroles pour le moment. Voir l’humoriste sinistre qui
conseillait à Blanquer de ne pas aller en Seine-Saint-Denis.

Pour le moment la police se contente de tirer sur les pitbulls. Tant pis pour le chien, il paye pour les autres.

Je
ne crois pas avoir d’antennes particulièrement fines. Mon sentiment est
partagé par tous ceux à qui j’en ai parlé. Dans les campagnes les plus
profondes, l’heure est à la pré-insurrection. Les Gilets jaunes étaient
un avertissement sans frais — et sans préparation, ils ont failli
prendre l’Élysée.
La violence est palpable, aussi bien dans les
sourires que dans les gesticulations outrées qui servent désormais de
mode de communication. Une exubérance de mauvais aloi marque les
discours et les comportements. Les sourires montrent les dents, les
rires sont des morsures à vide. Les journalistes hésitent entre
pratiquer la surenchère, qui fait toujours de l’audience, et s’effarer
de la violence des propos échangés à l’antenne. On n’est plus dans la
polémique, on est dans l’envie d’en découdre. L’insulte se banalise, et
elle est un prélude aux coups.
Et quand on sait combien d’armes — et
pas de simples couteaux — circulent déjà dans nos cités, et combien de
bons citoyens pensent eux aussi à s’armer… L’Express croit savoir que le nombre de permis de chasse explose en France. Je serais lapin, j’aurais peur…

A lire aussi: « Si les gilets jaunes s’étaient éloignés de la violence, on les aurait rejoints »

Le
gouvernement ne compte même plus sur sa police. Sans doute a-t-il
échangé avec les militaires quelques menus propos sur l’art et la
manière de réprimer les prochaines émotions populaires. Ça ne marchera
pas. Écoutez bien ce que le Cardinal de Retz, qui s’y connaissait en
émeutes, disait des peuples en 1648, à un prince de Condé sûr de sa
force derrière sa morgue: « Ils en sont là : ils commencent eux-mêmes à
compter vos armées pour rien, et le malheur est que leur force consiste
dans leur imagination; et l’on peut dire avec vérité qu’à la différence
de toutes les autres sortes de puissance, ils peuvent, quand ils sont
arrivés à un certain point, tout ce qu’ils croient pouvoir. »

Personne
à l’époque n’a entendu Retz. Quelques jours plus tard, des barricades
sortaient de terre, partout dans Paris, et la Reine et son Mazarin
quittaient Paris, de nuit, la queue basse et le poil tremblant.

Le
pire, c’est que ce sont les obscurs, les sans grade, les retraités et
les infirmes, les petits Juifs et les musulmans ordinaires, qui paieront
le plus cher. Les professionnels de l’insurrection et du terrorisme
connaissent leur boulot.

Les manifestations prévues le 5 décembre,
et les jours suivants, pour évoquer les futures retraites vont mal se
passer. Et les syndicats enseignants qui s’y joignent, et envisagent de
mobiliser les lycéens en espérant, sans le dire, un Malik Oussekine
nouveau, devraient y réfléchir à deux fois: il n’y aura pas une bavure,
il y en aura des milliers. Parce que les temps sont mûrs.


Jean-Paul Brighellienseignant et essayiste français.Il anime le blog “Bonnet d’âne” hébergé par Causeur.

Source:© L’odeur de la poudre – Causeur

Comments are closed.

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com
fr_FRFrançais