Les « insoumis » doivent réexpliquer leur conception alors qu’ils sont accusés, directement ou indirectement, d’être des complices de l’islam radical.
Ils ont beau être des adeptes des joutes politiques, tout comme du « bruit et de la fureur », les « insoumis » n’arrivent pas à s’en remettre. Qu’après l’assassinat par un islamiste de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), on les accuse, directement ou indirectement, d’être « complices » des terroristes, des « collabos » de l’islam radical ou encore d’être des « islamo-gauchistes », les partisans de Jean-Luc Mélenchon ne l’acceptent pas.
Le député La France insoumise (LFI) des Bouches-du-Rhône l’a encore répété lundi 26 octobre. Invité de France Inter – la présence de l’ancien sénateur socialiste sur cette station honnie est la preuve que l’heure est grave –, M. Mélenchon a interpellé le ministre de l’éducation nationale : « Jean-Michel Blanquer vient de dire que j’étais tantôt républicain, tantôt islamiste de gauche. Qu’il le prouve ! Qu’il dise, qu’il cite une phrase, un comportement ! » Il a mis au défi ses contempteurs « de trouver sur cinquante ans de ma vie politique une seule ligne qui puisse être considérée comme non laïque, non républicaine ».
Quelques jours auparavant, le même Jean-Luc Mélenchon estimait, dans une note de blog, que lui et son mouvement étaient des « boucs émissaires de confort ». Dans le même article, il faisait amende honorable en s’excusant d’avoir dit qu’il y avait « un problème avec la communauté tchétchène » en raison des origines du terroriste islamiste ayant assassiné Samuel Paty, le 16 octobre. Le député faisait également référence aux affrontements de Dijon, en juin, entre des Tchétchènes et des jeunes de la métropole bourguignonne.
Il faut dire que, depuis l’attentat de Conflans, toute la gauche de la gauche (formations politiques, syndicats et certains médias comme le site Mediapart) est soumise à de très fortes critiques. Les principaux griefs viennent de la majorité présidentielle ; de l’ancien chef de l’Etat François Hollande ; des anciens premiers ministres socialistes Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ; du Printemps républicain (association qui défend avec véhémence une conception stricte de la laïcité) ; de la droite ou de l’extrême droite.
« Une spirale infernale »
En cause : la supposée complaisance avec les revendications communautaires de certaines associations et personnalités musulmanes. Cette famille politique est aussi accusée de renoncer à défendre le principe de laïcité.
Le siège du Parti communiste français (PCF) a ainsi été, au cours du week-end, tagué de l’inscription « collabo ». Un acte qui a été condamné par la quasi-totalité du spectre politique. Leurs camarades d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) se voient aussi reprocher une conception trop « libérale » de la laïcité. Mais, entre tous, LFI est la formation la plus particulièrement visée.
« Tout le gouvernement s’y met. C’est un moment de bascule voulu, orchestré, coordonné. Il y a une volonté de se payer LFI. Nous sommes la seule alternative, la seule opposition systémique, le grain de sable qui peut perturber le duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen », veut croire Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis. Il dénonce un « climat délétère » où « l’extrême droite et les extrêmes libéraux se rejoignent dans une spirale infernale ». Il avertit : « Il faut faire attention : il y a ceux qui parlent et ceux qui appliquent dans les faits les paroles prononcées » contre des mouvements politiques ou contre les Français de confession musulmane. Les « insoumis » estiment également que le débat politique est fait sous la pression de l’extrême droite, de ses thèmes et de ses mots. « La bataille culturelle a été remportée par l’extrême droite », dit ainsi le député de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière, lieutenant de Jean-Luc Mélenchon.
Pour justifier leurs attaques, les adversaires de LFI rappellent que le mouvement de gauche a signé (comme, entre autres, le PCF, EELV et les syndicats CGT et FSU), en novembre 2019, l’appel contre l’islamophobie. Ce texte dénonçait la stigmatisation des Français de confession musulmane, notamment après l’attaque, quelques jours plus tôt, de la mosquée de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) par un ancien candidat du Rassemblement national.
Vite sortir de cette polémique
Mais cet appel condamnait également les « lois liberticides ». Si le texte ne précisait pas à quoi ce terme faisait référence, l’un des organisateurs, interrogé par Le Monde, avait alors expliqué qu’il était question des lois de 2004 et 2010 (sur les signes religieux à l’école et sur l’interdiction de la burqa), ce qui n’est d’ailleurs pas la position officielle de LFI. Autre problème : cet appel était lancé notamment par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une association dont le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, dit mardi 27 octobre, dans Libération, qu’elle est « une officine islamiste ».
De plus, lors de la manifestation du 10 novembre 2019, qui avait suivi l’appel, Marwan Muhammad, l’ancien directeur du CCIF, avait harangué la foule en lançant depuis une camionnette plusieurs « Allahou Akbar ».
« C’était une provocation isolée, faite sans concertation avec les autres organisateurs », avance aujourd’hui M. Coquerel qui avait beaucoup œuvré pour que le groupe parlementaire « insoumis » signe l’appel. Il tient à rappeler qu’une Marseillaise avait été entonnée à la fin de la marche : « Toute personne de gauche devait être dans la rue à ce moment-là », insiste-t-il. Reste que ces épisodes apparaissent aujourd’hui comme des éléments à charge contre le mouvement « insoumis ».
Une chose est sûre : il y a urgence pour LFI à sortir de cette polémique. M. Mélenchon doit déclarer sa troisième candidature à l’élection présidentielle dans les tout prochains jours. Or, il semble impossible de se lancer dans un tel climat politique.
La laïcité, un outil d’émancipation
Les « insoumis » doivent donc s’atteler à réexpliquer leur conception de la république et de la laïcité. Leur vision est déjà résumée dans le livret programmatique consacré à ce thème, où la laïcité est présentée comme un outil d’émancipation, « un pilier de la République une et indivisible ». Admirateur de la « grande Révolution » de 1789, longtemps franc-maçon, M. Mélenchon a toujours placé le combat républicain au cœur de son engagement. Et il entend bien le rappeler.
Le 21 septembre, il a ainsi délivré un discours à la Maison de la Mutualité, où il a défendu l’idée d’une République qui redevienne un creuset où se mélangent et s’associent les citoyens aux origines et identités différentes et où les questions ethniques et l’assignation identitaire sont dépassées.
Mais cela ne suffira pas. « Il faut revenir à la raison, réfléchir à comment renforcer la laïcité. Il faut trouver une voie médiane, pour que le pays ne se casse pas, estime M. Corbière. On portera un message républicain. Ce sera une campagne longue où l’on prendra le temps d’expliquer les choses ; on réaffirmera nos positions. » Et surtout, faire œuvre de pédagogie et de patience.
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LFI, accusée de complaisance avec le communautarisme, veut clarifier sa vision de la laïcité et de la République added by RichardA on
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