C’est une promenade vivifiante dans un univers doré, un cheminement enchanté parmi les vignes aux feuilles flamboyantes et les oliviers aux branches garnies de fruits noirs et mats. A chaque tournant, illuminé par un franc soleil d’automne, le paysage se transforme, modelé par l’inclinaison des rayons, l’orientation des vignobles, les creux et les bosses. Au printemps, autre saison, le ravissement se pare de nouvelles couleurs, vert tendre des feuilles fraîches, coquelicots des prés, dégradés rosés des cerisiers, amandiers et abricotiers, jaune pétant des genêts.
En pédalant sur les routes sinueuses des Dentelles de Montmirail, dans le Vaucluse, on en prend plein les yeux. Ce petit massif, au pied du mont Ventoux, se repère de loin, dès le TGV ou l’autoroute qui longent le Rhône. On croirait des dents acérées posées les unes à côté des autres, même si l’appellation « Dentelles » vient de la forme effilochée que prend la roche.
La montée de la Roque-Alric est l’une des plus rudes, mais la vue sur ce village de 50 habitants adossé à un piton rocheux est saisissante.
Cet ensemble calcaire situé au nord de Carpentras, extension occidentale des monts de Vaucluse, s’étend sur le territoire d’une dizaine de communes. Il mesure une dizaine de kilomètres du nord au sud, de Vaison-la-Romaine à Beaumes-de-Venise, environ huit kilomètres d’est en ouest, et culmine à 722 mètres, avec la crête de Saint-Amand. Ses aiguilles, qui rappellent les Dolomites, ont conquis les mordus d’escalade. Et ses routes escarpées assurent un bon entraînement aux passionnés de cyclisme sportif qui visent, à la fin d’une semaine de chauffe, les 1 100 mètres de dénivelé du mythique Ventoux.
Plus modestement, et plus tranquillement, le vélo à assistance électrique permet d’arpenter la région en dosant ses efforts, le visage caressé par le vent léger qui souffle en haut des cols. La montée de la Roque-Alric est l’une des plus rudes, mais le promeneur sera récompensé, au détour d’un virage, par une vue saisissante sur ce village de 50 habitants adossé à un piton rocheux. Il faut mettre pied à terre puis arpenter les quelques rues, monter derrière le cimetière et embrasser le panorama centré sur les Dentelles Sarrasines, l’une des trois chaînes qui composent le massif.
Pins d’Alep et genévriers
Au clocher sonnent trois coups, et il est temps de poursuivre la promenade, en direction de Suzette cette fois, où les cyprès semblent monter la garde à côté des façades de pierres. Devant l’église du XIIe siècle au clocher ajouré, la vue sur les collines et les terrasses cultivées procure un sentiment de sérénité. C’est la Provence, mais une Provence vigilante, un brin austère, inquiète de ce mistral qui, certains jours, souffle à emporter les tuiles.
Les pentes les plus abruptes du massif sont aussi les plus sauvages. A gauche de la fontaine de Lafare, la route bitumée grimpe en lacets jusqu’au col Saint-Christophe, où l’on se faufile entre deux parois blanches, le temps de saluer une randonneuse de passage qui vient tous les matins, car « la lumière change d’heure en heure ». Ici, indique un panneau, s’était autrefois implanté un village, dont les habitants furent massacrés au XVe siècle parce qu’ils se livraient au brigandage… L’endroit suscite en tout cas l’imagination.
La route se prolonge jusqu’au creux d’un vallon puis se transforme, après une barrière
« chemin privé » que l’on est autorisé à ignorer, en chemin de terre abrupt. Mieux vaut alors compter sur les roues larges du VTT et sur la batterie pour progresser. Au col du Cayron, où les roches vertigineuses des Sarrasins projettent leur ombre sur les plants alignés en contrebas, l’immersion dans le paysage est totale. Le silence est à peine troublé par la respiration des arbres agités par la brise, le claquement mat des petits cailloux qui ripent sous les pneus, le cliquetis des vitesses qui commandent le dérailleur, un chien qui aboie au loin. En montant (à pied) au rocher du Turc, spot d’escalade très prisé, le promeneur découvre, de tous côtés, des perspectives sur la vallée du Rhône, l’Ardèche, les monts de Vaucluse, le Luberon, les Baronnies, et bien sûr le Ventoux.

La randonnée à vélo se poursuit, à flanc de coteau ou en pente douce, vers les célèbres villages viticoles de Vacqueyras et Gigondas, au milieu des chênes verts, des pins d’Alep et des genévriers, sans oublier les alignements de vignes qui donnent à cet ensemble, vu d’en-haut, l’allure d’une peinture pointilliste.
Comme tout tableau, celui-ci mérite une explication, fournie par Jean-Luc Bernard, qui produit chaque année, à Beaumes-de-Venise, entre 3 000 et 4 000 bouteilles de rouge charpenté et de muscat de Beaumes, ce blanc sucré dont les papes d’Avignon avaient fait leur vin de messe. « Le massif protège la vigne du mistral, mais les orages frappent fort. Pour éviter que les trombes d’eau emportent la terre, nous devons corriger la pente des vignobles. C’est pour cela que nous montons des murs de pierres, que les parcelles restent petites et qu’on laisse pousser des arbres entre elles », raconte-t-il.
Les murets de pierres sèches font partie, avec les lavoirs, moulins à huile, puits ou chapelles, du patrimoine bâti du Comtat Venaissin, ancienne propriété papale. Le donjon d’un château fort élégamment remanié à la Renaissance domine le village du Barroux.

A Beaumes-de-Venise, la chapelle Notre-Dame d’Aubune, en pierres blanches, fait partie de ces constructions romanes provençales qui parsèment la région. En contrebas de cet édifice, coule le canal de Carpentras qui puise l’eau de la Durance pour arroser les cultures du Comtat tout en ménageant, sur sa rive, un étroit passage en terre qui convient à la pratique du VTT. C’est que l’eau est précieuse ici. Les vieilles bâtisses isolées, sièges de domaines viticoles ou oléicoles qui abritent désormais des chambres d’hôtes, sont toutes situées près d’un point d’eau. Dans chaque village se tient encore une fontaine joliment sculptée, alimentée, même en plein été, par les nombreuses sources du massif.
Un kilo d’abricots
Ainsi irriguée, la polyculture façonne le décor. Jusqu’aux années 1980, sur les terrasses consolidées poussaient surtout des arbres fruitiers, « puis la montée en gamme des appellations a amené les agriculteurs à se tourner vers le vignoble », explique Line Isnard, qui cultive, avec son fils, des olives, du raisin et des abricots au domaine Julline, en contrebas du château du Barroux.

Les confitures, le nectar, l’huile et le vin séduisent les adeptes de la vente directe. En pleine saison, témoigne l’agricultrice, « les touristes, les restaurateurs et les épiciers se fournissent tous les jours au domaine », et en profitent pour admirer la vue exceptionnelle sur les monts de Vaucluse, la plaine de Carpentras et même le palais des papes d’Avignon, au loin. Line Isnard évoque aussi ces cyclotouristes qui achètent un kilo d’abricots au cours de leur parcours quotidien avant de revenir, à la fin de leur séjour, en voiture cette fois, pour remplir le coffre de produits locaux.
Un nougatier de Saint-Didier a eu l’idée de produire une barre énergétique, baptisée « L’endurante », spécialement dédiée aux rois du guidon.
Passer ses journées à monter et à descendre des côtes ouvre l’appétit. Sur la route, si ce n’est pas la saison des abricots (mi juin-fin juillet), le cycliste peut croquer une barre énergétique. Un nougatier de Saint-Didier, à quelques kilomètres de Carpentras, a justement eu l’idée d’en produire une, baptisée « L’endurante », à base de miel, d’amandes et de figues sèches, spécialement dédiée aux rois du guidon.
« Le vélo fait partie de la culture du Vaucluse », commente Elodie Pellet, chargée de mission du réseau La Provence à vélo, qui dépend du département. La montée du Ventoux par les coureurs du Tour de France, qui se fera à deux reprises en 2021, ou du critérium du Dauphiné libéré, tous les deux ou trois ans, suscite les vocations. Et puis « nos fidèles visiteurs belges et néerlandais ont l’habitude de se déplacer à vélo sur leur lieu de vacances, et exigent des aménagements », explique-t-elle.
A l’été 2020, les itinéraires bien connus des cyclotouristes qui traversent le département, à l’instar de la Via Rhôna le long du Rhône, ont connu une forte fréquentation. Quelques circuits balisés, convenant au VTT ou au vélo de route, sillonnent en partie les Dentelles de Montmirail. Il n’est toutefois pas interdit de concevoir son propre itinéraire, en sélectionnant les chemins de randonnée pédestre, moins fréquentés que les routes et plus praticables que les sentiers. Mieux vaut alors se munir de la carte IGN n° 3040 ET, qui couvre Carpentras et Vaison-la-Romaine.

Le plein été, avec sa lumière écrasante et ses canicules de plus en plus assommantes, est à proscrire, d’autant que les risques d’incendie conduisent les pompiers à interdire l’accès au massif jusqu’à trois semaines d’affilée. L’automne et le printemps vous tendent les bras, mais aussi l’hiver, enfin ce qu’on appelle « hiver » dans le Midi. « Les amateurs disent que, pour faire du vélo, 20 degrés est une température idéale. Chez nous, cela correspond à une après-midi de février », observe Mme Pellet. Il est vrai qu’en descendant de vélo, après quelques heures de balade dans cet environnement spectaculaire, on se sent comme après une journée de ski.


Notre journaliste a organisé son voyage avec l’aide de l’Office de tourisme Ventoux-Provence.
Y aller
En TGV jusqu’à Avignon, puis TER (30 minutes) jusqu’à Carpentras. Des cars circulent entre Carpentras et Beaumes-de-Venise, Le Barroux, Malaucène ou Gigondas. www.transcove.com/lignes-et-horaires.html
Louer un vélo
Plusieurs loueurs tiennent boutique à Carpentras ou Malaucène. L’Etape du Ventoux (Beaumes-de-Venise) propose des vélos de route, sport et tout-terrain, avec assistance électrique ou non. Réservation conseillée. www.letapeduventoux.fr
Points de recharge électrique rapide dans une dizaine de lieux du massif.
Cartes : www.provence-a-velo.fr
Se loger
L’Evajade, à Beaumes-de-Venise. 5 chambres d’hôtes, dont une dans un grand tonneau ! Accueil de Corinne et Jean-Luc Bernard, viticulteurs, qui proposent leur « Rocher des dames » à la vente. Petit-déjeuner généreux, confitures maison, piscine. A partir de 90 € la nuit. www.evajade.fr
Mas de la Lause, au Barroux. 5 chambres dont une suite, vue apaisante sur les collines, piscine. Corinne Lonjon tient la maison, propose ses confitures et sert les plats copieux préparés par son mari, qui effectue aussi des petites réparations sur les bicyclettes. A partir de 100 € la nuit. www.provence-gites.com
Domaine de Cabasse, à Séguret, village perché sublime. 23 chambres charmantes, piscine, restaurant. A partir de 89 € la nuit. cabasse.fr/fr/accueil
Tous ces établissements proposent un accueil labellisé pour les voyageurs à vélo.
Déjeuner, dîner
Bistro de Lafare, au cœur du village, à pied d’œuvre. Spécialités portugaises et provençales. www.bistrotdepays.com/bistro-de-lafare
Du verre à l’assiette, à Gigondas. Salades, tartines, grillades. Vente de produits locaux. www.duverrealassiette.com
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