Le combat de Léone-Noëlle Meyer pour garder son Pissarro volé par les nazis

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L’héritière du tableau « Bergère rentrant ses moutons » bataille pour que l’œuvre du peintre reste exposée au Musée d’Orsay à Paris au lieu de devoir rejoindre les Etats-Unis, comme le prévoit un accord de 2016.

C’est une pastorale comme le peintre Camille Pissarro en a tant peint. Son évaluation même est modeste, de l’ordre de 1,5 million d’euros. Pour la richissime Léone-Noëlle Meyer, cependant, la valeur sentimentale et symbolique de la Bergère rentrant ses moutons (1886) est inversement proportionnelle à sa valeur financière.

Bien qu’âgée de 81 ans et à l’abri du besoin, l’héritière lutte aujourd’hui contre le Musée Fred Jones Jr de l’université d’Oklahoma pour garder en France, au Musée d’Orsay, ce tableau qui avait appartenu à ses parents adoptifs, Raoul et Yvonne Meyer. « Je serais beaucoup plus tranquille si je ne faisais rienmais c’est mon devoir de me battre », lâche l’énergique ex-présidente du conseil de surveillance des Galeries Lafayette et pédiatre retraitée.

Dispersés dans des conditions troubles

Le contentieux sera examiné le 19 janvier par la justice française. Mais l’histoire commence en 1941, quand l’occupant allemand met la main sur un coffre du Crédit foncier de France contenant la collection des Meyer. Signés Bonnard, Renoir, Modigliani et… Pissarro, les trésors acquis par le couple dans les années 1930 sont spoliés, puis dispersés dans des conditions troubles, comme le sont à l’époque nombre d’œuvres d’art appartenant à des juifs.

Ayant survécu à la guerre, Raoul Meyer, homme d’affaires original, organiste à ses heures, devient directeur des Galeries Lafayette puis adopte une petite fille, Léone-Noëlle, dont la mère a péri à Auschwitz. En 1951, il apprend que sa Bergère rentrant ses moutons a été repérée en Suisse. Sa tentative de retrouver la propriété de l’œuvre se solde par un échec : au plaignant spolié, la Confédération helvétique oppose une prescription de… cinq ans.

« Bergère rentrant ses moutons » (1886), de Camille Pissarro (1830-1903).

Le combat de Léone-Noëlle Meyer ne s’engage vraiment que soixante et un ans plus tard, en 2012, lorsque l’un de ses fils repère le Pissarro du grand-père sur le site du Musée Fred Jones Jr. Les recherches permettent de pister un achat, en 1957, par un couple de collectionneurs américains, Aaron et Clara Weitzenhoffer, qui l’a légué au musée, en 2000, parmi 32 autres tableaux impressionnistes.

Trop heureux, le musée américain n’avait pas pris la peine de vérifier le pedigree du cadeau, qui figurait sur le répertoire des œuvres spoliées et non restituées, établi dès 1947. Armée de sa bonne foi et conseillée par de solides avocats, la direction de l’institution n’entend pas céder à l’injonction tardive de Léone-Noëlle Meyer.

Rotation perpétuelle

L’accord concédé en 2016 témoigne de l’âpreté de l’affrontement juridique : le tableau est restitué à Mme Meyer moyennant une rotation perpétuelle entre le Musée Fred Jones Jr et une institution française. Ainsi, la Bergère qui est accrochée au Musée d’Orsay depuis 2017 est-elle supposée traverser l’Atlantique en 2021 pour une durée de trois ans. « Une nuit, à 2 heures du matin, mon avocat américain m’a mis une pression forte pour que j’accepte cette transaction, regrette aujourd’hui Léone-Noëlle Meyer. Je n’avais pas le choix, je ne voulais pas risquer de perdre un procès. Mon erreur, c’est d’avoir traité cette affaire à distance. »

Une clause supplémentaire, particulièrement alambiquée, engage Léone-Noëlle Meyer à léguer de son vivant la toile à un musée français, lequel devra accepter le principe de rotation perpétuelle. A défaut, son décès déclenchera un nouveau transfert, permanent celui-là, et l’inscription du Pissarro au programme Art in Embassies dans les délégations américaines à travers le monde…

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Déjà victime de l’escroc américain Bernard Madoff, la fille adoptive de Raoul Meyer estime avoir été bernée. « Cet accord est tout sauf une restitution », plaide l’héritière, connue pour son caractère tranché. « Avant la signature de la transaction, j’étais même prête à racheter le tableau pour l’offrir à Orsay, ajoute-t-elle, mais le musée de l’Oklahoma ne le veut pas. Pour eux, pas question de céder. »

Condamnée pour injure à la cour

Avec l’avocat parisien Ron Soffer et épaulée par l’agence de communication Publicis, dont elle fut autrefois actionnaire, Léone-Noëlle Meyer se bat devant la justice française pour obtenir le droit de léguer l’œuvre au Musée d’Orsay, sans rotation. Il faut dire que l’établissement public est plus que réservé à l’idée d’avoir à prendre à sa charge les frais pour organiser les allers et retours du tableau entre la France et les Etats-Unis.

« On est arrivé à un blocage, il faut s’asseoir autour de la table et négocier, mais le musée d’Oklahoma ne veut rien entendre », assure Ron Soffer. L’avocat du musée américain, MOlivier de Baecque, réplique qu’« une transaction a été signée, homologuée par des juges français et américains, et Mme Meyer doit la respecter », précisant que, « en cas de difficulté, il est stipulé qu’il faut retourner devant un juge américain ».

Le 4 janvier, la justice américaine, saisie par le Musée Fred Jones Jr, a d’ailleurs condamné Léone-Noëlle Meyer pour injure à la cour pour avoir refusé de se désister de la procédure engagée en France, en violation du contrat. « Le danger, dans le comportement de Mme Meyer, c’est qu’il peut entraîner un coup d’arrêt à la résolution amiable des dossiers de restitution », commente Mde Baecque.

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Ron Soffer, lui, espère casser l’accord de 2016 en s’appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation datant de juillet 2020 dans le cadre d’une autre affaire de Pissarro spolié, La Cueillette des pois (1887), dont la restitution a été obtenue en vertu de l’ordonnance du 21 avril 1945, déclarant nulles toutes les ventes effectuées sous le couvert des lois antijuives du régime de Vichy.

Source: ©Le combat de Léone-Noëlle Meyer pour garder son Pissarro volé par les nazis

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