Le cinéma sous l'Occupation

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MORCEAU CHOISI – Un livre éclaire l’histoire complexe et trouble de la Continental, société de production créée à Paris par les nazis en 1940.

Le cinéma sous l’Occupation

«Dès le début de l’Occupation, Paris va avoir un rôle bien particulier pour les autorités allemandes, écrit l’historienne Christine Leteux dans son remarquable essai Continental Films, cinéma français sous contrôle allemand (Éditions de la Tour Verte). Ce sera la ville des plaisirs.» Faite pour le repos du guerrier. «Le cinéma fait partie de ces industries de divertissement qui doivent repartir rapidement.»

Avec le recul de l’histoire, il apparaît aussi comme un microcosme emblématique de la société française de l’époque, qui n’avait pas voulu voir venir la guerre et découvrait sous la botte allemande que «l’humiliation escortait la défaite». La notation est de Paul Meurisse, revenu dans la capitale à l’automne 1940, comme beaucoup de gens du spectacle que la débâcle avait entraînés vers le Midi.

Le 1er octobre 1940, le producteur nazi Alfred Greven, issu de la célèbre société de production berlinoise UFA, crée la Continental Films, qui va écrire paradoxalement une des pages les plus brillantes du cinéma français.

En effet, Greven prend la main sur «la crème des réalisateurs, les plus grandes stars et les meilleurs techniciens disponibles». Ce n’est pas sans malaise, note Christine Leteux, que les premières personnalités contactées s’engagent sous cette bannière. De leur refus ou de leur adhésion dépend le redémarrage de l’industrie cinématographique française, et on ignore alors combien de temps peut durer l’Occupation. Le paysage est sinistre: tout un milieu professionnel se trouve au chômage, et les seules instances à vouloir le reconstruire sont le vainqueur nazi et le Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC) de Vichy, qui en interdit l’accès aux Juifs.

Archives inédites

Dans ce dilemme entre les scrupules personnels et les enjeux pour la production nationale, les premiers réalisateurs sollicités (Marcel Carné, Christian-Jaque, Georges Lacombe, Maurice Tourneur, Henri Decoin) essaient de négocier. Guy de Carmoy, responsable parisien du COIC, les pousse à passer sous ces fourches caudines, sans quoi c’est la mort du cinéma français, mais s’engage à les soutenir en cas de conflit.

Dans une situation aussi implacable, les réponses ne peuvent être qu’empiriques, et l’ouvrage de Christine Leteux, étayé par de nombreuses archives inédites (tirées notamment des dossiers de procès de l’épuration), montre toute la complexité des positions et des comportements.

Dès 1941, un Carné, un Christian-Jaque, s’arrangent pour s’opposer insolemment à Greven et sortir de la Continental par rupture de contrat. Sur les plateaux règne une atmosphère empoisonnée d’affrontements larvés, d’espionnage et de délation. Henri Decoin fait travailler sous le manteau le scénariste juif Max Colpet, qui sera payé par Greven à son insu: Decoin partage avec lui son salaire, ce qui lui permettra de s’enfuir et de gagner la Suisse. À l’opposé, Léo Joannon, surnommé par Henri Jeanson «la mouche du Boche», signe traîtreusement la comédie Caprices, volée à deux auteurs juifs de très grand talent qui n’ont plus voix au chapitre, Jacques Companeez et Raymond Bernard.

Préfacé par Bertrand Tavernier, qui en souligne les hautes qualités (documentation de première main et impartialité qui défie les clichés), Continental Filmsest une fresque passionnante, incarnée, inattendue, trouble et éclairante.


 

 

 

Source: Le cinéma sous l’Occupation

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