"Le chagrin et la pitié", la chronique d'Anne Sinclair

Home»A LA UNE»“Le chagrin et la pitié”, la chronique d’Anne Sinclair
La chroniqueuse du JDD Anne Sinclair. (Eric Dessons/JDD)

LA LETTRE D’ANNE SINCLAIR – La journaliste Anne Sinclair, dans sa chronique pour le JDD, évoque l’attentat de Trèbes et le meurtre de Mireille Knoll.

Les auteurs de ce beau film me pardonneront, j’espère, de reprendre leur titre pour qualifier cette semaine de drames, d’indignation, de communion. L’attentat de Trèbes a déclenché en France un ébranlement considérable. Parce qu’il est survenu dans une toute petite ville de 5.000 habitants qui pouvait légitimement se croire à l’abri des désordres du monde. Parce que les cibles du terroriste ont été encore une fois des gens paisibles dans leurs activités quotidiennes. Parce que l’acte d’héroïsme du colonel Arnaud Beltrame nous a tous remplis d’admiration, d’effroi, de détresse. D’une infinie tendresse aussi pour cet homme qui nous est devenu familier. D’une immense compassion pour sa famille, pour son épouse. D’une extrême fascination pour une décision qu’il a dû prendre en quelques secondes, pour le courage qui fut le sien d’échanger sa vie contre celle de l’otage qu’il a remplacée.

Braves parmi les braves

J’ai écouté son chef, ses camarades, j’ai regardé sa photo sans pouvoir détacher mes yeux de ce visage droit, au regard clair, en me disant qu’il y a des hommes que l’on doit côtoyer sans savoir ce dont ils sont capables.
Et puis, le magnétisme si fort de cet acte a fait remonter des images englouties. Celles des hommes de la guerre de 14 dans les tranchées de Verdun, sacrifiant leur vie pour quelques mètres de terrain reconquis puis reperdu. Ou celles des héros de la Résistance, qui, sous la torture, n’avaient pas parlé.

On croyait que le modèle de ces braves parmi les braves n’existait plus que dans les récits de chevalerie, sans d’ailleurs voir qu’ils sont toujours présents : chez les pompiers sur les échelles d’incendie, les médecins dans les zones de guerre, les militaires, dans le Thalys, maîtrisant un assassin. Mais il est vrai que l’individualisme qui dessine aujourd’hui nos vies, nos idéaux, a relégué au rang d’image d’Épinal le sacrifice humain pour une cause plus grande que soi. Mercredi, j’étais sur l’esplanade des Invalides, dans la foule serrée sous les parapluies et totalement silencieuse, devant l’écran géant qui retransmettait la poignante cérémonie et le discours sensible du Président. J’ai vu des jeunes se prendre par la main. Le chagrin et la fierté.

Envie d’hurler

Quelques heures après Trèbes, madame Knoll, 85 ans, est morte sous les coups de couteau de son voisin, avant qu’il ne brûle son corps. Elle était juive, elle avait échappé au pire en 1942, elle avait un prénom de soleil, Mireille, et elle avait le visage de nos grands-mères. À découvrir sa photo, on avait envie de la serrer dans nos bras. Envie de hurler que la vie est trop cruelle qui la fit échapper aux nazis pour mourir des coups d’un assassin. Envie aussi que ce crime horrible remue l’ensemble des Français. Le meurtre des juifs parce qu’ils sont juifs ne concerne pas que les juifs, mais est un affront à la nation tout entière.

La “marche blanche“, organisée mercredi, elle aussi, devait dire tout cela. La maladresse insigne, le faux pas du C.r.i.f, qui excluait des élus de la République de ce rassemblement, a risqué de transformer la communion nationale en polémique stupide. Le déroulement de cette marche a failli, lui aussi, déraper. Je peux témoigner que ceux qui étaient boulevard Voltaire, quand les cris et les insultes d’irresponsables ont manqué d’abîmer le sens de cette démonstration, étaient sincèrement indignés. C’était idiot en ce qui concerne Marine Le Pen, dont il fallait au contraire se féliciter de la venue. C’était tout à fait injuste et blessant pour Jean-Luc Mélenchon, qui a toujours été personnellement inattaquable sur l’antisémitisme. Heureusement, à l’image du fils de Mireille Knoll, Daniel, qui eut l’attitude la plus digne et respectable, il restera de cette journée la volonté des Français de toutes origines de dire leur vigilance face à  l’antisémitisme renaissant. No pasarán. Le chagrin et la révolte.

Mais que retenir finalement de cette semaine? L’espoir, infime, du “plus jamais ça”, dont on sait bien, au fond de nous, qu’il recommencera. Les gendarmes sont à jamais marqués dans leur chair. Beaucoup de juifs ont la crainte de l’avenir. Alors, encore des lois, des mesures? Difficile de dire oui, car elles sont déjà très nombreuses et, à l’évidence, ne sont jamais infaillibles. Difficile de dire non, car le manque de confiance d’une partie du peuple est le plus sûr moyen de sa démission, alors qu’Arnaud Beltrame, les trois autres victimes du terroriste de Trèbes et Mireille Knoll nous appellent à l’unité, au courage, à la résistance. Hélas, il restera, comme toujours, un trou noir. Celui de la compréhension. De cette “banalité du mal” qui nous laisse à chaque fois pantelants devant la barbarie ordinaire qui choisit de poignarder un homme courageux ou une dame qui aimait la vie. Le chagrin et le chagrin.

Source:© “Le chagrin et la pitié”, la chronique d’Anne Sinclair

One Response to "“Le chagrin et la pitié”, la chronique d’Anne Sinclair"

  1. Alain   6 avril 2018 at 20 h 11 min

    Melenchon inattaquable sur l’antisémitisme …. voire
    lui même n’est , peut être, pas antijuif, mais il n’a rien fait contre les membres de son parti qui le sont et ses propos pro palestiniens et anti israéliens chauffent à blanc les banlieues. C’est ainsi que des Mireille KNOLL son agressées , torturées et tuées.

Comments are closed.

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com
fr_FRFrançais