La vague de faillites attendue à l'orée du printemps 2021

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ENQUÊTE – Ces derniers mois, des milliers de défaillances d’entreprises ont été artificiellement évitées. Désormais, les professionnels de la restructuration anticipent une hécatombe de procédures.

«Les restructurations qui ne se font pas aujourd’hui signeront les faillites de demain», martèle au Figaro Dominique-Paul Vallée, juge et délégué général à la prévention des difficultés des entreprises au Tribunal de commerce de Paris. Il y a quelques jours, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire donnait le ton : un grand nombre de licenciements et de faillites sont attendus dans les semaines et les mois à venir.À LIRE AUSSI : Ces diverses escroqueries qui coûtent cher aux finances publiques

Il faut dire que depuis le 24 août, le compte à rebours est de nouveau lancé, alors que le système juridique habituel reprend ses droits. Avec la crise sanitaire, la réglementation française avait accordé ces cinq derniers mois un peu de répit aux entreprises, tant pour apprécier l’état de cessation de paiements que pour le déclarer. Du 13 mars au 23 août, les sociétés qui ne pouvaient pas régler leurs factures ont bénéficié d’un régime privilégié : le délai de 45 jours pour demander l’ouverture d’une conciliation (procédure préventive), d’une procédure de sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire (procédures collectives) auprès du Tribunal de Commerce n’était plus imposé.

Désormais, les professionnels du secteur s’attendent à une vague de restructurations dès octobre prochain. «Nous sortons d’une période de protection et de bilan pour les entreprises. Le plus dur arrive, alors qu’il est encore délicat de faire des prévisions d’activités dans certains secteurs», explique Guilhem Bremond, associé au sein du département Restructuration de Paul Hastings.

L’événementiel, le tourisme, l’hôtellerie-restauration et les sous-traitants aéronautiques sont les secteurs les plus concernés. L’hécatombe de faillites devrait intervenir, elle, à l’orée du printemps 2021.

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Des défaillances d’entreprises artificiellement évitées

Depuis le confinement et ce jusqu’à la fin de l’été, le volume de procédures collective en France fut bien plus faible que les années passées. Elles ont diminué de 42,5% sur un an entre mai et juillet, selon une étude publiée mardi par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et l’institut Xerfi.

Ces procédures conduisent fréquemment à des défaillances d’entreprises. Mi-août, seules 20.250 défaillances étaient recensées par la société Altares depuis le 1er janvier, soit 40 % de moins que l’an passé au cours de la même période. Le nombre de défaillances n’a jamais été aussi bas depuis trente ans.

 

Cette véritable « mise sous cloche  » accordée à l’ensemble des entreprises a notamment eu l’effet pervers de retarder l’inéluctable pour des structures qui auraient dû déposer le bilan en été

Guilhem Bremond, associé chez Paul Hastings

 

Cette situation peut sembler paradoxale au regard de la crise économique inédite que traverse le pays. «Les mesures d’aides gouvernementales, chômage partiel et prêt garantis par l’État (PGE) en tête, ont mis les entreprises en suspens», explique Guilhem Bremond. Les PGE, octroyés depuis fin mars par les banques à plus de 560.000 entreprises, pour un montant de 117 milliards d’euros, et autres aides publiques ont permis de combler les besoins les plus urgents en renforçant la trésorerie des entreprises. Parallèlement, la période de confinement a affecté le fonctionnement des juridictions commerciales et retarder des procédures dans les tribunaux.

Résultat, les chiffres actuels ne reflètent pas l’état de l’économie réelle. La société Altares estime que 10.000 défaillances d’entreprises ont ainsi été artificiellement évitées sur la première moitié de l’année. Cette véritable «mise sous cloche» accordée à l’ensemble des entreprises a notamment eu l’effet pervers de retarder l’inéluctable pour des structures qui auraient dû déposer le bilan en été. «Logiquement, c’est là que nous pouvons parler de vague de faillites imminente. Ce sont finalement plus des reports que de réelles conséquences à la crise sanitaire», explique Guilhem Bremond. Dans une récente note d’analyse, l’assureur-crédit Euler Hermes prédit ainsi 64.000 faillites entre le dernier trimestre 2020 et la mi-2021.

 

PME-TPE menacées par la première vague de faillites

 

Pour Alexandre Le Ninivin, associé chez Oxynomia, cette situation de reports de fatalité devrait surtout concerner les TPE et les petites PME (de moins de 100 personnes). «La trésorerie s’est redressée un temps avec les PGE, qui représentent en moyenne trois mois de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, beaucoup de commerces de proximité restent désertés et certains carnets de commandes sont vides », explique l’avocat.

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De son côté, le juge Dominique-Paul Vallée craint que les PME, en cessation de paiements après le 24 août, ne se tournent pas rapidement vers les dispositifs amiables de prévention, «destinés à éviter les faillites.» Ces procédures visent à négocier un échelonnement, report de dette avec les créanciers ou des nouvelles sources de financement. Face à la fragilité des dossiers, les tribunaux de Commerce redoutent désormais de n’avoir d’autres options que de prononcer directement des liquidations judiciaires, sans solution de redressement. «Il ne faut pas que les chefs d’entreprise fassent l’autruche et attendent la dernière alerte des pouvoirs publics pour affronter la réalité», avertit le juge.

Ces derniers mois, le Tribunal de commerce de Paris a essentiellement vu défiler des demandes de liquidation de TPE et les petites PME. Et ce malgré la possibilité transitoire proposée par la loi de ne pas se déclarer en cessation de paiement. «Mais ces entreprises avaient un système de gestion défaillant ou ne voyaient aucune possibilité de retournement. Parfois par manque de connaissance de l’exercice de leur droit et des procédures», abonde Dominique-Paul Vallée. Pour ces structures déjà très ébranlées depuis 2015 par les attentats, puis la crise des gilets jaunes et les manifestations contre la réforme des retraites, la crise du Covid-19 a été le coup de grâce.

 

Recours aux plans sociaux pour les ETI

 

Du côté des sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse les 20 millions d’euros, et notamment les grandes PME et les entreprises de taille intermédiaire («ETI», entre 250 salariés et 5000 salariés), la vague de faillites n’est pas à craindre dans l’immédiat. Beaucoup se sont dotées d’un arsenal de conseillers financiers, experts-comptables et avocats spécialisés en restructurations, et certaines ont déjà eu recours aux procédures de préventions. Dans un souci notamment de préserver de bonnes relations avec les fournisseurs.

 

Pour les entreprises les plus fragiles, des réductions d’effectifs devront inévitablement s’imposer, faute de solutions financières adaptées et de reprise de la demande

Alexandre Le Ninivin, avocat associé chez Oxynomia

 

Depuis le début de l’année, 186 procédures préventives ont été ouvertes au Tribunal de Commerce de Paris, dont 131 depuis le début de période de confinement en mars à septembre. «En 2019, nous avions eu un total 200 procédures préventives. Le chiffre sera plus élevé cette année», estime Dominique-Paul Vallée.

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« Globalement, les ETI ont réussi à négocier des PGE et même à en obtenir dans leurs filiales situées dans d’autres pays », précise Alexandre Le Ninivin. Toutefois, pour les plus fragiles, des réductions d’effectifs devront inévitablement s’imposer, faute de solutions financières adaptées et de reprise de la demande, pour se restructurer le temps que la crise passe et éviter le dépôt de bilan.

« Ces entreprises restent trop petites pour recevoir un soutien particulier de l’État, même si le gouvernement travaille actuellement sur ce sujet, ces sociétés représentant le cœur du tissu économique français », explique l’avocat. Selon la Dares, 275 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont déjà été recensés entre le 1er mars et le 19 juillet, avec une hausse particulièrement sensible à partir de la mi-juin, notamment dans les ETI.

 

Les grands groupes à l’affût d’argent frais

 

Enfin, du côté des grands groupes, des restructurations et plans sociaux sont déjà en cours de négociations : Conforama, Airbus, Camaïeu ou encore Europcar (quatre mois à peine après avoir bénéficié d’un PGE de 220 millions), les exemples sont nombreux. Pour préparer l’avenir, ils doivent trouver de nouvelles sources de financements. «Il va y avoir beaucoup d’opérations financières sur les marchés dans les prochaines semaines, il faudra se concentrer sur l’apport de fonds propres. L’offre de financement est présente, mais il y a désormais une vraie nécessité à prouver que le business model est solide pour l’obtenir», explique Guilhem Bremond. Banques, fonds de capital-investissement et assureurs, seront à nouveau mis à contribution.

Autre élément intéressant à suivre de près ces prochains mois, les négociations autour du remboursement des PGE (sur une à cinq années) pourraient s’avérer délicates. «Les banques négocieront différemment un cas de défaut qui pourrait survenir sur ce type de concours garanti par l’État», explique Romain Olivares. L’avocat précise que certains PGE prévoient des clauses d’échéances de terme pour des cas liés à autre chose qu’un défaut de paiement (avec par exemple des cas où l’entreprise ouvre une procédure préventive ou collective, change d’actionnaire de contrôle, ou en cas de désaccord sur de nouvelles sources de financements). «Pour ne pas s’empêtrer, certaines banques pourraient refuser de négocier et préféreront se délester de leurs créances. Les banques accepteront leur décote de 10% et se tourneront directement vers l’État», abonde l’avocat. Ce dernier précise toutefois n’avoir encore aucune visibilité réelle sur ce sujet, certaines banques s’étant montré particulièrement bienveillantes pour l’octroi de PGE.

À l’orée du printemps 2021, les grands groupes devraient multiplier les recours aux outils du droit des entreprises en difficulté. «Il faut toutefois rester vigilants sur les dérives de cet usage», alertent les avocats de chez Paul Hastings, car «cela peut très facilement mettre à mal le tissu de la dette en France et décourager les investissements dans le pays».


 

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Source: ©La vague de faillites attendue à l’orée du printemps 2021

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