La position inconfortable du procureur de Paris

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ANALYSE – Le syndicat des magistrats reproche à Rémy Heitz d’avoir rédigé une note à l’usage de ses équipes au cœur de la tempête des «gilets jaunes». Le voici accusé d’être un fossoyeur des libertés individuelles dont il est pourtant le garant.

Le piège. Une nouvelle fois, le procureur de Paris,
Rémy Heitz, qui, à peine entré en fonction, a dû, tour à tour, affronter
la crise violente et sans fin des «gilets jaunes», l’attentat du marché
de Noël de Strasbourg, les affres de l’affaire Benalla et les drames
des rues de Trévise et Erlanger, est sous les feux de la rampe. Reconnu
par ses pairs comme un fin juriste et un excellent praticien, le voici
accusé d’être un fossoyeur des libertés individuelles dont il est
pourtant le garant, par le Syndicat de la magistrature, réputé très à gauche.
Le syndicat de magistrats le plus redouté politiquement, à défaut
d’être le plus puissant syndicalement. Il reproche au procureur de Paris
une note à l’usage de ses équipes au cœur de la tempête des «gilets
jaunes», quand chaque samedi à Paris et ailleurs, les
casseurs font le coup de main, brûlant voitures et mobiliers urbains,
fracassant les devantures de magasins et cherchant la confrontation avec
les forces de l’ordre
.

Que dit cette note datée du
12 janvier, visant l’organisation de la permanence du parquet, qui va
devoir gérer comme chaque semaine un contentieux de masse et un flux
inhabituel? Lors des investigations, il est recommandé une «prise
d’attache téléphonique avec les effectifs interpellateurs» et d’«éviter
de faire reconvoquer les policiers» à cet effet. «Vérifier les vidéos
seulement pour les faits les plus graves et/ou contestés». Car comme on
le sait depuis l’affaire Benalla, faire venir les DVD de la préfecture
de police est une procédure longue. Or à Paris, ce samedi-là, le parquet
a dû gérer 200 gardes à vue. En tout depuis le début du conflit,
quelques milliers se sont déroulées sans accroc.

Si la note
s’était arrêtée là, les détracteurs du nouveau procureur de Paris
auraient trouvé la méthode expéditive mais n’auraient pas pu en dire
bien davantage. Il reste la recommandation maladroite visant à retarder
les levées de garde à vue pour infraction insuffisamment caractérisée ou
appelant un rappel à la loi. Celles-ci «doivent être privilégiées le
samedi soir ou le dimanche matin, afin d’éviter que les intéressés
grossissent à nouveau les rangs des fauteurs de troubles». Inexcusable,
pour le Syndicat de la magistrature, dont le secrétaire général, Vincent
Charmoillaux, rappelle «l’article 66 de la Constitution faisant de
l’institution judiciaire la gardienne des libertés publiques» et qui
reproche alors au procureur de Paris d’avoir trop sacrifié «au maintien
de l’ordre public».

«La nomination de Rémy Heitz qui
s’est faite en brutalisant les procédures introduit la possibilité de
douter de l’autorité judiciaire et de son indépendance.»Le responsable d’un syndicat

«Rien n’interdit dans les textes de pousser la garde à vue au
maximum des 24 heures. Lorsque vous arrêtez quelqu’un en état d’ivresse,
vous allez logiquement le laisser dégriser plutôt que de le remettre en
liberté. Et même si ce n’est pas dans les textes, il s’agit
d’interrompre une infraction ou d’éviter qu’elle ne recommence»,
commente placide un procureur général. «J’ai vu des dispositions
similaires appliquées lors des manifestations contre les lois El Khomri
ou à l’occasion de 31 décembre ou de 14 juillet. Les parquets tentent
toujours de s’organiser en amont. La note affirme d’ailleurs qu’il faut
privilégier mais elle n’impose pas», souligne ce magistrat bon
connaisseur des parquets parisien et de la petite couronne.

Toute
la question serait-elle alors de savoir si le procureur de Paris a agi
sur ordre du politique? «Le soupçon suffit», affirme le responsable d’un
syndicat qui n’a jamais caché mener des combats politiques: «La
nomination de Rémy Heitz qui s’est faite en brutalisant les procédures,
avec un choix intuitu personae de l’Élysée et Matignon, introduit la
possibilité de douter de l’autorité judiciaire et de son indépendance.
Sans aucune évolution du statut, nous serons toujours dans cette
ambiguïté.»

«Il est inconfortable de diriger le
parquet de Paris lorsque vos décisions font l’objet de supputations sans
fin, fondées ou non.»Paule Gonzalès

Rémy Heitz est donc condamné à vivre à la tête du plus puissant
parquet de France, sous surveillance et il lui faudra justifier le
moindre de ses actes. Qu’il reçoive la ministre de la Justice souhaitant
visiter la permanence de son parquet et il sera accusé, à tort ou à
raison, de recevoir des instructions. Que ses services transmettent une
note d’organisation un peu trop musclée à ses «parquetiers», elle sera
hachée menu par un syndicat de magistrats. Qu’il s’affranchisse certes
naïvement d’une autorisation du juge de la liberté et de la détention
pour aller demander des écoutes illégales à Mediapartet il sera
accusé de faute devant l’administration. Il est inconfortable de diriger
le parquet de Paris lorsque vos décisions font l’objet de supputations
sans fin, fondées ou non.


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Paule Gonzalès

journaliste

Source:© La position inconfortable du procureur de Paris

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