CHRONIQUE – Si l’économie chute moins, le capital productif et humain souffre plus.
Soucieux de préserver la vie économique et l’éducation scolaire, ô combien indispensables, l’exécutif croit avoir résolu la quadrature du cercle. Bruno Le Maire se glorifie que le second confinement aura un impact deux fois moindre que le premier, qui avait fait chuter le PIB (produit intérieur brut) d’environ 30 % en avril. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, a renchéri, prévoyant que la baisse de régime serait cette fois de 12 % au lieu de 31 %.
Le ministre de l’Économie et le grand argentier veulent accréditer le scénario d’un traumatisme plus supportable, et pour de multiples raisons: maintien des services publics, télétravail, protocoles sanitaires fin prêts alors qu’il avait fallu les créer en mars, etc. Un tel satisfecit n’est hélas pas de bon aloi. Ces chiffres, effrayants en soi, restent par exemple supérieurs à la chute subie par l’économie allemande au printemps! Bis repetita, pas de quoi pavoiser. Le second confinement sera en réalité plus douloureux, et il sera perçu comme tel, de même que la réplique d’un séisme est ressentie plus cruellement, fût-elle moindre que le choc précédent sur l’échelle de Richter.
L’État a su aligner en moins d’un an quelque 180 milliards d’euros de dépenses budgétaires définitives, sans compter les fameux PGE, les prêts garantis par l’État.
«Le second rebond sera plus dur», juge le cabinet Xerfi, le spécialiste des analyses sectorielles, dans une étude fouillée qui sonde les reins des entreprises et les cœurs des ménages. Avec du côté des entreprises un risque d’effet domino et de faillites en chaîne, et pour les Français le spectre d’un «krach social», selon l’expression de François Hollande converti en Cassandre.
Certes l’État, assureur en dernier ressort, est toujours présent ; ce bon Samaritain a su aligner en moins d’un an quelque 180 milliards d’euros de dépenses budgétaires définitives, sans compter les fameux PGE, les prêts garantis par l’État, qui se chiffrent en centaines de milliards. Cette corne d’abondance d’argent public paraît d’autant plus inépuisable qu’elle est alimentée par la Banque centrale européenne et son pouvoir illimité de créer des signes de richesse monétaire.
Les experts de Xerfi observent que les entreprises ont vu leur dette financière grimper en moyenne à hauteur de 25 % de leur valeur ajoutée annuelle depuis le 17 mars.
Mais dès qu’on redescend de ces cimes, la magie fait place à une réalité rugueuse. On peut certes s’interroger sans fin pour savoir si les États devront ou non rembourser un jour la BCE, et caresser l’idée d’une «dette perpétuelle». Seule certitude, de telles facilités sont exclues pour les sociétés privées. Les experts de Xerfi observent que les entreprises ont vu leur dette financière grimper en moyenne à hauteur de 25 % de leur valeur ajoutée annuelle depuis le 17 mars. C’est plus que les 20 points de pourcentage de PIB pour l’augmentation de la dette publique (rappelons que le PIB est comptablement la somme des valeurs ajoutées de toutes les entreprises et autres acteurs économiques). Ce passif, auquel s’ajoutent 27 milliards de dette sociale ou fiscale (reports de charges), devra être honoré sauf à faire faillite.
Même les PGE garantis par l’État sont des prêts, pas des dons. À cet égard, le gouverneur de la Banque de France a raison de se féliciter que les PGE distribués pendant la crise du Covid s’élèvent à 120 milliards d’euros, près de trois fois plus qu’en Allemagne (45 milliards). Mais ce cocorico saluant l’activisme de Bercy fait froid dans le dos car il exprime aussi la grande vulnérabilité financière des entreprises françaises adeptes du «capitalisme sans capital». Leur manque de fonds propres constitue un talon d’Achille diabolique en période de crise.
Goût amer
Si les dettes empêchent les patrons de dormir, particulièrement les 300.000 commerçants menacés de ruine personnelle, le chômage est le cauchemar des salariés. Là aussi la société française s’avère moins résiliente que d’autres. Ce n’est pas pareil d’avoir un taux de chômage de 3,2 % de sa population active, comme en Suisse, ou de 9 %, en France, avec la quasi-promesse de franchir le cap de 10 % avant la fin de l’hiver. Paradoxalement, le premier confinement s’était accompagné d’un reflux du chômage, pour des raisons de collecte statistique et grâce au «chômage partiel», qui avait éclusé 8,6 millions de bénéficiaires en avril. Ce dispositif censé retenir les salariés au sein de l’entreprise a été maintenu tel quel, mais il perd de sa pertinence à partir du moment où l’employeur est obligé de fermer.
Voilà une raison suffisante pour donner au second confinement un goût plus amer. Quoiqu’il dise de ne laisser personne sur le côté, et quoi qu’il en coûte, l’exécutif est au pied du mur de ses contradictions. Nombre de ses mesures, aussi spectaculaires que dispendieuses, n’ont fait que reporter les échéances, distribuant de l’argent public sans richesse produite en contrepartie. D’où ce paradoxe affligeant d’une surépargne des ménages, estimée à 90 milliards d’euros, et, plus effroyable encore, le spectacle d’une France coupée en deux, l’une ne sachant où placer son argent et l’autre n’arrivant pas à terminer le mois. On laissera aux 15 millions de retraités et aux 7 millions de fonctionnaires, 40 % de la population adulte selon le cabinet Xerfi, le soin de se situer.
Cerise sur le gâteau, le soi-disant «plan de relance de 100 milliards d’euros» est lui aussi naufragé par la seconde vague, qu’il n’avait pas vue venir. Constatant qu’à peine 21,5 milliards d’euros de ses crédits auront un effet à court terme, l’économiste Éric Chaney, de l’Institut Montaigne, suggère de le requalifier en un vrai plan de soutien et de relance autour de cinq pistes: préparer la campagne de vaccination, cibler les aides pécuniaires en faveur des plus fragiles, établir une subvention de 10 % pour l’investissement des entreprises, cesser de parler d’impôt et instaurer sept mois de soldes dans le commerce, concentrer toutes les actions sur 2021. Il est temps que l’exécutif parte à l’offensive au lieu de se confiner dans son Conseil de défense.
Source: Jean-Pierre Robin: «Le second confinement aura un coût bien plus douloureux que le premier»
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