ANALYSE – Leur rapprochement a progressé spectaculairement avec l’accord de normalisation des relations israélo-émiriennes. Un traité devrait être signé prochainement à la Maison-Blanche.
Correspondant à Jérusalem
L’accord négocié par Washington, afin d’établir une normalisation complète des relations entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU), a été qualifié par Donald Trump d’«énorme avancée». Obtenu en échange du renoncement de Benyamin Nétanyahou à sa promesse d’annexion d’une partie de la Cisjordanie occupée, il constitue un succès diplomatique pour le président américain lancé dans une campagne électorale à l’issue incertaine. Il crée également une donne inédite dans les rivalités géostratégiques entre les pays du Golfe, l’Iran, la Turquie et le Qatar. Et il profite à Israël, qui peut se targuer de ratifier un pacte avec un pays arabe sans passer par le préalable d’un règlement du conflit israélo-palestinien.
● Pourquoi Benyamin Nétanyahou et Mohammed ben Zayed prônent-ils une entente cordiale?
Le premier ministre israélien et le prince héritier d’Abu Dhabi ont un point en commun: ils sont convaincus que l’affichage de la force est le meilleur moyen de se faire respecter au Moyen-Orient. Benyamin Nétanyahou a fait de ce précepte l’un des piliers de son idéologie. Depuis plusieurs années, l’aviation israélienne mène ainsi des raids aériens préventifs en Syrie, pour contenir la présence militaire de l’Iran et de son allié libanais du Hezbollah. Mohammed Ben Zayed, dit MBZ, implique les Émirats dans la guerre au Yémen, en soutenant les «sudistes» favorables à une partition. C’est un «faucon» anti-iranien et anti-Frères musulmans.
Les deux leaders se sont rapprochés sous l’égide de Jared Kushner, le gendre et conseiller spécial de Donald Trump. Ils se seraient rencontrés secrètement pour la première fois il y a deux ans. «Ces dirigeants sont avec l’Arabie saoudite les alliés clés de Donald Trump au Moyen-Orient. Jared Kushner avait, pour sa part, besoin d’une réussite diplomatique pour contrebalancer le “deal du siècle”, ce plan de paix pour le conflit israélo-palestinien rejeté par l’Autorité palestinienne et jugé par les acteurs internationaux comme trop favorable à l’État hébreu», commente un diplomate occidental.
Soucieux de sortir son pays de son isolement régional, Benyamin Nétanyahou cherche depuis son accession au pouvoir à nouer des liens avec les pays du Golfe, en dépit de l’assassinat en 2010 à Dubaï d’un cadre du Hamas palestinien par le Mossad. Nommé à la tête des services secrets par le premier ministre voici cinq ans, Yossi Cohen a multiplié les visites clandestines à Abu Dhabi et dans les capitales voisines, pour instaurer des relations de confiance fondées sur l’échange de renseignements. Dans le même temps, des hommes d’affaires israéliens binationaux ont développé des échanges économiques. Selon la Fondation Carnegie pour la paix internationale, les relations commerciales entre Israël et les États du Golfe dépassent le milliard de dollars par an.
● Quelle est la portée de l’accord de normalisation?
L’accord de normalisation entre l’État hébreu et la pétromonarchie a une dimension historique: celle d’une entente allant bien au-delà du simple échange d’ambassadeurs. Ce n’est pas pour autant un tremblement de terre diplomatique, comme l’avait été en 1979 la signature du traité de paix entre Israël et l’Égypte, après la visite du président Sadate à Jérusalem et les accords de Camp David qui avaient tiré un trait sur trois guerres. La Jordanie avait embrayé en 1994, mais ces réconciliations n’ont abouti qu’à des «paix froides». Israël et les EAU ne signent pas formellement un traité de «paix» puisqu’ils n’ont jamais été en guerre. Les EAU forment un État encore plus jeune qu’Israël. Durant la guerre des Six-Jours de 1967, les sept émirats n’étaient pas indépendants et n’étaient pas connectés entre eux.
La probable future poignée de main à la Maison- Blanche entre Benyamin Nétanyahou et Mohammed Ben Zayed n’aura pas le même retentissement que celle entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat dans le même décor. «L’accord n’est qu’un accessoire dans la chorégraphie d’un événement beaucoup plus lourd pour Israël: la réélection ou non de Donald Trump», estime Martin Sherman, le directeur de l’Institut israélien d’études stratégiques (IISS) de Jérusalem.
Le rapprochement n’en reste pas moins le symbole d’un changement d’état d’esprit. Il va faire «tomber des préjugés de longue date. Il contribuera à faire passer la région d’un héritage troublé d’hostilité et de conflits à un destin plus prometteur», pronostique Yousef al-Otaiba, l’ambassadeur des EAU à Washington, dans une lettre publiée par le site israélien Ynet.
Israël est devenu un partenaire sécuritaire discret des pétromonarchies du Golfe, au nom de la lutte contre l’adversaire commun, l’Iran. L’Arabie saoudite a ouvert son espace aérien à la compagnie El Al. Le sultan d’Oman Qabus Ibn Said, décédé au début de l’année, a reçu le premier ministre israélien dans son palais de Mascate. Israël a tissé une toile de relations clandestines, allant de Bahreïn au Soudan en passant par le Maroc. Ces pays proches des États-Unis ne sont pas pressés de se positionner. À quelques semaines de l’élection présidentielle américaine, l’effet domino évoqué par la Maison-Blanche paraît improbable.
● L’accord comporte-t-il des zones d’ombre?
La vente d’avions F-35 est une pomme de discorde entre Abu Dhabi et Israël. MBZ aurait obtenu des États-Unis l’ouverture de discussions pour l’achat de chasseurs furtifs. Donald Trump a confirmé qu’un deal était envisageable: «Ils (les Émiriens, NDLR) voudraient commander quelques F-35. C’est le meilleur avion de combat au monde, a-t-il proclamé. Ils voudraient acheter des F-35, nous verrons ce qui se passe. C’est en cours d’examen.» Le président américain a ajouté: «Ils ont clairement l’argent pour les payer. C’est bien parce que dans beaucoup de cas, quand nous faisons des accords, les pays avec lesquels nous traitons n’ont pas un sou.»
Les EAU disposent d’une flotte composée de Mirage et de F-16 et cherchent à la renforcer. Mais l’establishment militaire israélien qui dispose de F-35 considère que cette vente pourrait remettre en cause la suprématie militaire de l’État hébreu au Moyen-Orient. Les adversaires de la transaction rappellent que les équilibres régionaux sont instables. Des pays arabes ou musulmans, dont le Qatar et la Turquie, avaient par exemple noué des relations diplomatiques avec l’«entité sioniste», dans la foulée des accords d’Oslo, mais ces dernières n’ont pas survécu à la deuxième intifada et à l’échec du processus de paix. Les Américains ont promis à leur allié israélien de préserver leur avantage militaire qualitatif. Selon Jared Kushner, le sujet devrait être abordé lors de discussions directes entre Benyamin Nétanyahou et MBZ. Une transaction s’échelonnerait, en cas d’agrément, sur plusieurs années, avec le feu vert du Congrès américain.
Israël pourrait, de son côté, vendre des équipements militaires et sécuritaires sophistiqués à son nouveau partenaire. «Je vois des accords de coopération où Israël apportera son expertise et les EAU le financement, pour développer certains systèmes liés à la sécurité intérieure», commente Uzi Rabi, chercheur à l’université de Tel-Aviv. Basée en Israël, la société NSO, spécialisée dans les systèmes d’écoutes téléphoniques, a vendu pour des centaines de milliers d’euros aux EAU et à d’autres États du golfe Persique, comme l’Arabie saoudite, son logiciel espion Pegasus, qui pirate les téléphones portables, copie leur contenu et peut contrôler leur appareil photo et leurs capacités d’enregistrement audio. Il est utilisé pour surveiller les dissidents des régimes monarchiques.
● Quelles sont les conséquences sur le conflit israélo-palestinien?
En difficulté dans leurs Territoires comme sur la scène internationale, les dirigeants palestiniens subissent un nouveau camouflet. Le dogme de l’impossibilité d’une normalisation des relations entre les pays arabes et Israël sans création d’un État palestinien ayant Jérusalem-Est pour capitale est battu en brèche. «L’accord Israël-EAU ne va pas transformer le Moyen-Orient mais il constitue un séisme pour l’Autorité palestinienne (AP), car sa stratégie est remise en cause», estime Ofer Zalzberg, chercheur à l’Institut Herbert Kelman.
«L’accord met en péril la politique du tout ou rien de Ramallah. Comment poursuivre cette stratégie si elle n’ouvre pas de perspective? Le doute commence à s’installer dans les esprits. Les Palestiniens découvrent que des régimes arabes, comme celui de l’Arabie saoudite, ne plaquent plus leur stratégie sur la ligne politique de l’AP». Ce désaveu pourrait avoir une influence sur les rivalités dans la succession de Mahmoud Abbas, le vieux et usé raïs palestinien.



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