
LES ARCHIVES DU FIGARO – Le 1er
septembre 1939, l’agression de la Pologne par l’Allemagne nazie,
entraînait la France et la Grande-Bretagne dans un conflit armé avec le
IIIe Reich. L’Europe basculait de nouveau dans la guerre. Dans une chronique parue dans Le Figaro, l’écrivain André Maurois expliquait les raisons du combat: «Nous en avons assez»…
«Mourir pour Dantzig.» Il y a 80 ans débutait le second conflit mondial avec l’invasion par l’armée allemande de la Pologne le 1er
septembre 1939. La France liée par une alliance franco-polonaise
déclarait la guerre à l’Allemagne, deux jours plus tard -tout comme la
Grande-Bretagne.

les principaux points d’attaque de l’armée allemande sur le territoire
polonais. – Crédits photo : Le Figaro
C’est au prétexte fallacieux d’une attaque polonaise à la frontière
orientale que la Wehrmacht envahit, sans déclaration de guerre, son
voisin. Le moyen pour Adolf Hitler d’obtenir satisfaction de ses
dernières revendications pangermaniques.
En effet il réclame depuis quelques mois Dantzig. Il s’agit d’une ville libre -depuis le traité de Versailles de 1919–
à majorité allemande permettant à la Pologne d’accéder à la mer
Baltique. Il veut aussi le «corridor de Dantzig», une zone qui sépare la
Prusse orientale du reste de l’Allemagne, établi à la même époque. La
France et la Grande-Bretagne tentent de trouver une solution au conflit
germano-polonais avant de se résigner à déclarer la guerre à
l’Allemagne, devant l’intransigeance et la duplicité du Führer.
Ainsi Le Figaro du 4 septembre indique que le gouvernement
français a fait connaître, qu’à partir du 3 septembre à 17 heures, il
«se trouverait dans l’obligation de remplir les engagements contractés
envers la Pologne et qui sont connus du gouvernement allemand.» En effet
une nouvelle alliance signée à Paris en mai 1939 -la convention
Kasprzycki-Gamelin- prévoit une assistance mutuelle en cas d’agression
de l’Allemagne nazie.
Édouard Daladier: «Nous faisons la guerre parce qu’on nous l’a imposé.»
Dans un discours aux Français, le président du Conseil Édouard
Daladier insiste sur le fait «que la responsabilité du sang répandu
retombe entièrement sur le gouvernement hitlérien. Le sort de la paix
était dans les mains d’Hitler; il a voulu la guerre.» Il rappelle que «la France et la Grande-Bretagne ont multiplié leurs efforts pour sauver la paix».
Et ce jusqu’à ce matin même du 3 septembre avec «une pressante
intervention à Berlin, pour adresser au gouvernement allemand un dernier
appel à la raison et lui demander l’arrêt des hostilités et l’ouverture
de négociations pacifiques.» Mais l’Allemagne leur a opposé un refus.
Il poursuit: «Elle veut donc la destruction de la Pologne, afin de
pouvoir assurer avec rapidité sa domination sur l’Europe et asservir la
France.» Aussi continue-t-il, «en nous dressant, Français, contre la
plus effroyable des tyrannies, en faisant honneur à notre parole, nous
luttons pour défendre notre terre, nos foyers.»
Un discours qui fait douloureusement écho à la signature, l’année
précédente, des accords de Munich, qui réglait la question des Sudètes
-région de Tchécoslovaquie où vivaient une majorité d’Allemands, exigée
elle aussi par Hitler. Ils étaient paraphés par Édouard Daladier
lui-même et par le Premier ministre britannique Arthur Neville
Chamberlain. Ainsi le peuple Tchèque était abandonné avec une mutilation
territoriale -la cession des Sudètes au profit du IIIe
Reich. Mais, garantissait-on à l’époque, par ces sacrifices on assurait à
l’Europe une ère de paix véritable. Adolf Hitler n’avait-il pas
affirmé: «Je n’ai plus de revendications territoriales à faire valoir en Europe…»?!
» LIRE AUSSI – Accords de Munich (1938): la Tchécoslovaquie sacrifiée sur l’autel d’une paix illusoire
André Maurois: «Nous en avons assez»
Un an plus tard il n’en est rien mais cette fois-ci la position
franco-britannique a changé. C’est en effet un tournant après les
précédents renoncements des puissances occidentales devant les exigences
d’Adolf Hitler, qui commencèrent par l’Autriche.
» LIRE AUSSI – Il y a 80 ans l’Anschluss rattachait l’Autriche au IIIe Reich
Dans une chronique datée du 2 septembre 1939, l’académicien André Maurois
revient sur la déclaration de guerre française et «les objets réels de
notre combat»: «Nous ne voulons plus que la violence, la haine et le
mensonge soient tenus pour les plus hautes vertus. Nous en avons assez.»
Retrouvez en intégralité ses propos.
De quoi s’agit-il?
Dantzig? Le corridor? Non, ce ne sont pas là les objets réels de notre combat. La vérité est que, depuis trois ans, la vie en Europe et dans le monde entier, a été rendue insupportable par une longue série de coups de force.
La recette en était simple. Parmi les États voisins de l’Allemagne, on
choisissait une victime, Dans la minorité allemande du pays choisi, on
cherchait un Gauleiter* ambitieux et sans scrupules. On déclarait la
minorité allemande persécutée. On déclenchait en Allemagne une violente
campagne de presse bientôt accompagnée de mobilisation massive sur les
frontières de la victime. Cela fait, on se tournait vers les autres
États de l’Europe; on leur témoignait l’amitié la plus affectueuse; on
leur affirmait, sous la foi du serment, que ceci serait le dernier acte
du drame, le dernier plat du festin, que désormais l’Allemagne ne
convoiterait plus aucun territoire; on les adjurait de ne pas commencer
une guerre européenne pour une misérable nation, d’ailleurs indigne
d’exister. Des gouvernements qui ont horreur de la guerre et qui d’ailleurs, étant honnêtes, ont tendance à croire aux serments, cédaient et,
avec un soupir, abandonnaient la victime à son sort. Elle était
dévorée. Dès le lendemain le Reich, parmi les nations si tendrement
aimées au temps où il avait eu besoin de leur bienveillance, choisissait
une nouvelle proie. La tragédie recommençait.
«Nous savons maintenant que céder à la menace allemande, c’est préparer un nouveau chantage. Nous en avons assez.»
Ce jeu a réussi en Autriche. Il a réussi en Tchécoslovaquie. Il a
réussi parce que l’Europe, à peine convalescente, avait besoin de paix.
Il a réussi parce que, contre toute espérance, nous avons longtemps
espéré que le maître du Reich tiendrait un jour sa parole. Nous avons appris, par de dures expériences, à connaître la valeur des pactes nazis.
Chaque année nous avons vu la vie du monde suspendue, les travaux
arrêtés, les familles déchirées, les bonheurs brisés par la folie de
quelques hommes. Nous en avons assez. Nous savons maintenant que céder à
la menace allemande, c’est préparer un nouveau chantage. Nous en avons
assez. Nous ne voulons plus que la violence, la haine et le mensonge soient tenus pour les plus hautes vertus. Nous en avons assez.
Nous aimons la vie certes, mais nous voulons vivre dans un monde où
l’on puisse élever ses enfants, construire une œuvre, faire de grands et
nobles projets sans être deux fois par an arraché à tout ce que l’on
aime par les caprices d’un monstre insatiable. Nous voulons rétablir en
leurs places d’honneur la confiance et la bonne foi. Les hommes libres
du monde entier nous y aideront.
«Un cri de délivrance, un cri d’union retentirait d’un bout du globe à l’autre.»

destiné à tous les hommes non présents sous les drapeaux et appartenant
aux armées de terre, de mer et de l’air y compris les inscrits
maritimes, les hommes appartenant aux troupes coloniales et les hommes
du service auxiliaire. – Crédits photo : Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA
Hier, en revenant de Malagar où, sous un ciel orageux aux nuages
violets, j’avais admiré le beau vignoble de François Mauriac, je
relisais dans le train un opuscule de Benjamin Constant qui a pour
titre: De l’esprit de conquête. Constant y décrit la fin misérable de
l’agresseur. «À quels sentiments en appellerait-il? Invoquerait-il la
justice? Il l’a violée. L’humanité? Il l’a foulée aux pieds. La foi
jurée? Toutes ses entreprises ont commencé par le parjure. La sainteté
des alliances? Il a traité ses alliés comme des esclaves. Compterait-il
sur le secours de ses nouveaux sujets? Il les a privés De tout ce qu’ils
chérissaient et respectaient. Tous se soulèveraient contre lui… La
paix, l’indépendance, la justice seraient les mots du ralliement général
et par cela même qu’ils auraient été longtemps proscrits, ces mots
auraient acquis une puissance presque magique. Un cri de délivrance, un
cri d’union retentirait d’un bout du globe à l’autre. La pudeur publique
se communiquerait aux plus indécis; elle entraînerait les plus timides.
Nul n’oserait demeurer neutre de peur d’être traître envers soi-même.» À
Tours, dans mon compartiment, montèrent deux Américains. Écoutant leur
conversation, je compris que le temps approchait où, comme disait si
bien Constant, un cri de délivrance retentirait d’un bout à l’autre du
globe.
Par André Maurois, de l’Académie française
* Chef d’un district dans l’Allemagne nazie et dans les territoires occupés rattachés au IIIe Reich.
Source:© Il y a 80 ans, l’invasion de la Pologne déclenchait la Seconde Guerre mondiale
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