Guillaume Tabard : «‘‘Gilets jaunes'' et chemises brunes, un raccourci trop facile»

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CONTRE-POINT – Gérald Darmanin parle de «peste brune», Christophe Castaner fait le lien entre les casseurs et le Rassemblement national… Le décalage avec la réalité trahit le calcul politique.

Qui n’a pas été choqué par la violence sur les Champs-Élysées? Faut-il pour autant reconnaître des chemises brunes sous les «gilets jaunes»? «La peste brune»,
selon Gérald Darmanin s’appliquant à filer la métaphore des années 1930
chère à son patron. Au moment où le chef de l’État entend montrer sa
capacité d’écoute d’un mouvement qui le défie, il est trop facile et
contre-productif d’en faire le prétexte d’un combat politique.

Les
«gilets jaunes» ont au moins gagné quelque chose. Le gouvernement ne
les assimile plus en bloc à des opposants bornés – poujadistes ou
populistes, au choix – et dangereux. Toutes les figures de la majorité
ont pris soin ce week-end de distinguer les manifestants sincères et les
casseurs. Les premiers seront désormais considérés avec bienveillance ;
c’est un tournant heureux. Les seconds ne doivent s’attendre à aucune
indulgence.

Émissaires et boucs émissaires

Mais par la
voix de Christophe Castaner, les macronistes s’appuient sur cette
distinction pour opérer une nouvelle identification: entre les casseurs
et le Rassemblement national puisque, dixit le ministre de l’Intérieur, c’est «à l’appel de Marine Le Pen» que des «séditieux» ont déferlé sur les Champs-Élysées.
Comme si le 24 novembre 2018 n’était qu’une réédition du 6 février
1934. Toujours les années 1930. Il faut bien enfoncer le clou pour faire
de Macron l’unique rempart à une répétition des «heures les plus
sombres de notre histoire».

Le décalage avec la réalité trahit le calcul politique. Samedi soir, ce sont en effet les black blocs,
c’est-à-dire la mouvance gauchiste violente, qui se sont publiquement
réjouis des débordements. Quant aux portraits de Che Guevara et aux
slogans contre «l’État, les flics et les fachos», ils figurent rarement
dans la panoplie des militants lepénistes.

Ce ciblage délibéré de son opposante
de 2017 peut se retourner contre Emmanuel Macron. Car en lui attribuant
la responsabilité des débordements, c’est lui qui politise l’événement

Curieusement, les macronistes s’en sont nettement moins pris cette
fois aux mélenchonistes alors que le patron de La France insoumise a
plus encore appelé les siens à descendre dans la rue et s’en est pris
plus vertement encore au pouvoir en place. Comme si les Marcheurs se
choisissaient leur adversaire privilégié. Ce fut longtemps Mélenchon ; à
l’approche des européennes, c’est désormais Marine Le Pen. De fait, la
dénonciation de la patronne du Rassemblement national colle bien, trop
bien, à la stratégie macroniste en vue de ce scrutin.

Ce ciblage
délibéré de son opposante de 2017 peut se retourner contre Emmanuel
Macron. Car en lui attribuant la responsabilité des débordements, c’est
lui qui politise l’événement. Difficile ensuite de dénoncer la
récupération par les partis. Et surtout, politiser, c’est attiser le
débat, c’est entretenir ou générer du clivage au moment où le chef de
l’État ne peut reprendre la main qu’en jouant la carte de l’apaisement
et de la compréhension de la colère sociale. Face aux «gilets jaunes»,
Macron a plus intérêt à trouver des émissaires qu’à désigner des boucs
émissaires.


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Guillaume Tabard

  Journaliste

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