
CONTRE-POINT – Confronté à une défiance de plus en plus étendue et à un contexte où la passion l’emporte, Emmanuel Macron ne pouvait, mardi, se contenter de convaincre. Il devait surprendre, provoquer un électrochoc. Il n’a pas su le faire.
«Disruptif.»
C’était un des mots fétiche du macronisme. Un de ces mots aux accents
savants qui illustraient la capacité du candidat devenu président à
casser les codes, à renverser les mécanismes établis, à surprendre, à
rompre avec les habitudes, à faire du neuf. En 2017, Emmanuel Macron a
gagné parce qu’il était disruptif. En cette fin d’année 2018, il ne
l’est plus. C’est ce qui lui manque au moment où il doit reconquérir une
opinion qui a basculé dans le rejet de sa présidence.
Qu’a-t-il manqué au discours du chef de l’État
ce mardi? Pas tant le fond qu’un ton. Qui fasse dresser l’oreille et se
dire qu’il avait su répondre au malaise de «son» peuple, comme il dit
souvent, lequel se reconnaît plutôt en ce moment dans la colère des
«gilets jaunes». La forme n’est pas tout, mais dans le style, ce
discours, enchâssé dans la présentation de la programmation
pluriannuelle de l’énergie (PPE), ressemble à tous ces discours qu’il
sait faire et qu’il aime faire. Denses, longs, détaillés et assénés,
mêlant vision de long terme et mesures précises. Du contenu, ce
plaidoyer en avait. De la rigueur intellectuelle aussi, dans la volonté
de concilier le maintien d’un cap et une inflexion de méthode.
Le psychologique prime sur le politique
Dans
ce moment passionnel où les explications rationnelles peinent à
franchir le mur de la défiance, Emmanuel Macron se devait de surprendre.
D’attirer l’attention. «J’ai vu», «j’ai entendu». Le président a
multiplié les gages de compréhension. C’est nécessaire mais insuffisant.
Au moment où sa popularité dévisse et où l’expression d’un mal français
déborde des questions de fiscalité écologique, l’essentiel pour Macron
n’est pas de dire aux Français qu’il les entend, mais de trouver les
moyens d’être entendu d’eux. Qu’importent les concessions, les
engagements, les mea-culpa, les résolutions et les changements de
méthode si les mots qui les portent se heurtent à des oreilles devenues
sourdes à sa parole.
Macron est victime du discours qui
avait fait son succès. Il avait été écouté parce qu’il avait pointé une
impuissance nourrie d’alternances factices, d’absence de courage, de
constance ou de vision
Le chef de l’État n’est pas confronté uniquement au rejet d’une
mesure ou à l’incompréhension d’une politique, mais à une rupture
radicale qui menace de le transformer en syndic des affaires courantes
d’une présidence déjà soldée. Macron ne doit pas uniquement expliquer ou
même convaincre, mais provoquer un électrochoc. Comme de Gaulle avait
su le faire in extremis le 30 mai 1968 après un mois où il avait
semblé balayé par les événements. Et pas d’électrochoc sans surprise.
Sans parole qui touche les Français au cœur ou aux tripes. Le
psychologique, pour l’heure, prime sur le politique.
Au fond,
Emmanuel Macron est victime du discours qui avait fait son succès en
2017. Il avait été écouté parce qu’il avait pointé une impuissance de
trente ou quarante ans, nourrie d’alternances factices, d’absence de
courage, de constance ou de vision. Il avait séduit en portant l’espoir
d’un dépassement des contradictions françaises et du retour d’un
optimisme entraînant.
Sa «verticalité» y compris dans son
contournement des corps intermédiaires participait de cette envie d’y
croire. Or, aujourd’hui, Macron ne fait que répéter ce constat initial.
Vieille ficelle de «l’héritage» qui souligne son échec à restaurerla
confiance entre gouvernants et gouvernés. Le discours du changement de
la méthode fut un classique de tous ses prédécesseurs encalminés. Il
faudra autre chose pour conjurer une rupture durable avec les Français.
Pour s’en sortir par le haut, une accumulation de mesures ne suffira
jamais ; Macron est dans l’obligation de redevenir disruptif.
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Source :© Guillaume Tabard : «Entendre les Français ou être entendus d’eux ?»
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