Erdogan mobilise les islamistes contre la France

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RÉCIT – Paris a rappelé son ambassadeur à Ankara après qu’Erdogan a mis en doute la «santé mentale» d’Emmanuel Macron. Dernier épisode d’un conflit qui s’aggrave.

C’est une nouvelle étape dans la dégradation des relations entre la France et la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Dans un geste diplomatique rare et fort, Emmanuel Macron a rappelé samedi son ambassadeur en Turquie pour protester contre les «propos inacceptables», mais aussi contre «l’outrance et la grossièreté» du président turc, qui a mis en cause sa «santé mentale ». «Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’État qui traite des millions de membres de communautés différentes de cette manière, c’est: allez d’abord faire des examens de santé mentale», avait affirmé Erdogan samedi dans un discours à la télévision. Il réagissait aux propos d’Emmanuel Macron qui avait promis que la France continuerait de défendre les caricatures de Mahomet. C’est la première fois dans l’histoire des relations entre les deux pays que le représentant de la diplomatie française est ainsi rappelé à Paris. Le président français a aussi regretté «l’absence de messages de condoléances et de soutien du président turc après l’assassinat de Samuel Paty ».

Entre la France et la Turquie, les tensions sont vieilles et antérieures à l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Les résistances françaises à l’entrée dans l’Europe de la Turquie et la loi de 2001 sur le génocide arménien par les Turcs ottomans, avaient braqué Ankara contre Paris. Mais depuis 2017, de nouveaux irritants et la politique néo-impériale d’Erdogan ont créé un fossé béant entre les deux pays. Profitant du retrait américain au Moyen-Orient, l’offensive turque dans le nord-ouest de la Syrie contre les forces kurdes YPG, alliées de la France et de ses partenaires de la coalition anti-Daech, a été mal vécue par Paris. Comme a été mal vécu le changement de rapport de force provoqué par le soutien d’Ankara au Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj à Tripoli, alors que la France avait misé sur les forces du général Haftar, tout en essayant de favoriser une réconciliation entre les frères ennemis de la politique libyenne.

Chantage migratoire

À Paris, on observe que l’influence grandissante de la Turquie en Libye donne au président Erdogan, dont le pays est le verrou de l’Europe et qui exerce sur elle un chantage permanent avec ses réfugiés syriens, un deuxième levier sur les mouvements migratoires. En 2019, les propos d’Emmanuel Macron dans The Economist sur la «mort cérébrale de l’Otan » ne visaient pas seulement les attaques de Donald Trump contre l’Alliance atlantique et son unilatéralisme. Ils pointaient aussi les provocations de la Turquie, pilier de l’organisation, contre ses partenaires, dont elle prend le contre-pied en Syrie, mais aussi en achetant un système de défense antimissile russe S400 incompatible avec l’Alliance. À l’époque déjà Recep Tayyip Erdogan avait affirmé que Macron lui-même était «en état de mort cérébrale ».

En juin 2020, les relations ont subi une nouvelle dégradation à la suite d’un incident en Méditerranée orientale entre la frégate française Courbet, prise à partie par un navire turc alors qu’elle effectuait une mission de surveillance de l’Otan dans le cadre de l’embargo sur les armes à destination de la Libye. En quelques mois, la Turquie a fait de cette zone, où elle convoite de nouveaux gisements gaziers et multiplie les incursions dans les espaces maritimes de la Grèce et de Chypre, un nouveau terrain d’affrontement.

Insultes et provocations

En septembre, le président français avait organisé la solidarité avec la Grèce et Chypre au sein du sommet des pays de la Méditerranée, Med 7. «Emmanuel Macron se présente comme le défenseur des frontières européennes et de la souveraineté face à l’assurance, si ce n’est l’agressivité, de la Turquie», écrit Bruno Tertrais, le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, dans une note pour World Politics Review. Depuis, le président turc multiplie les insultes et les provocations à l’égard d’Emmanuel Macron.

L’islam est aussi un sujet majeur. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron s’inquiète de l’entrisme de l’islam religieux turc en France, auprès des communautés musulmanes. La Turquie, qui possède la moitié des 300 imams détachés par des pays étrangers et cherche à implanter des écoles turques en France, n’a pas apprécié les initiatives du gouvernement français pour mettre fin à cette influence. Il y a deux semaines, Erdogan a violemment réagi aux déclarations d’Emmanuel Macron sur le «séparatisme islamiste » et la nécessité de «structurer l’islam» en France. Les initiatives du président français contre l’islam politique après l’horrible assassinat de Conflans-Sainte-Honorine ont encore attisé la colère d’Erdogan, qui se voit en défenseur de tous les musulmans. «Il y a une campagne islamiste contre la France. Elle est organisée, elle n’est pas le fait du hasard et les émetteurs sont très largement turcs», affirme-t-on à Paris.

Pour l’islamiste Recep Tayyip Erdogan, la France est une cible de choix. Elle est le pays d’Europe qui abrite la plus grosse communauté musulmane. Elle défend sans relâche la laïcité. Et son président a pris la tête de la fronde antiturque. Il a mis en garde ses partenaires européens, les sensibilisant sur le risque posé par Erdogan en Méditerranée orientale, en Libye et en Syrie, mais aussi, plus récemment, dans le conflit du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La division des tâches au sein du tandem franco-allemand, l’Allemagne jouant le rôle de négociateur et la France montrant ses muscles, a produit des résultats positifs. Les propos disruptifs du président à l’Otan ont aussi réveillé certains alliés. Mais jusqu’à quand?

La politique de l’autruche

Car depuis l’été, les membres de l’Alliance atlantique, dont l’animal fétiche est l’autruche, ont replongé la tête dans le sable. Le rapport exigé par la France après l’incident du Courbet a été enterré. Les Américains sont restés indifférents aux provocations turques. C’est la même chose au sein de l’Europe. Les pays d’Europe centrale et orientale, épargnés par l’islamisme radical, tiennent avant tout à préserver la solidité de l’Otan et à rester sous le parapluie sécuritaire américain, même perforé de trous béants. D’autres veulent ménager la Turquie par peur des représailles migratoires que pourraient leur faire subir Erdogan. L’Allemagne hésite à élever le ton en raison de sa forte population d’origine turque. Résultat: les Vingt-Sept ont renoncé début octobre à Bruxelles à discuter d’éventuelles sanctions contre la Turquie, préférant jouer la carte de l’apaisement et renvoyant leur examen à décembre. Le président turc a compris le message et interprété la mollesse des États européens comme un encouragement à poursuivre sa politique. Il a renvoyé les navires qu’il avait rappelés deux jours avant le Conseil européen au large de l’île grecque de Kastellorizo.

Ce nouveau dérapage d’Erdogan, ajouté aux provocations quotidiennes vis-à-vis de ses alliés, changera-t-il la donne? Les États-Unis ont condamné le test des S400 et menacé Erdogan de «conséquences graves». Le chef de la diplomatie européenne a dénoncé les propos «inacceptables» du président turc à l’encontre d’Emmanuel Macron et appelé Ankara à «cesser cette spirale dangereuse de confrontation». Même son de cloche chez la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen: «Si Ankara poursuit ses actions illégales, nous utiliserons tous les instruments à notre disposition.» Le prochain rendez-vous a été fixé au Conseil européen du mois de décembre. «Des exigences sont posées. Erdogan a deux mois pour répondre. Des mesures devront être prises à la fin de cette année», a prévenu Emmanuel Macron. Mais l’issue du dossier turc dépendra aussi de l’élection américaine.

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Source:© Erdogan mobilise les islamistes contre la France

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