Soucieux de changer l’image de l’Arabie saoudite, le prince héritier Mohammed Ben Salman affiche un objectif ambitieux.
Soucieux d’améliorer une image traditionnellement mauvaise, que l’assassinat en octobre dernier du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul,
a encore dégradée, Riyad change d’outils de communication. Fini les
agences de relations publiques rétribuées à prix d’or pour un résultat
décevant, le gouvernement saoudien entend rattraper son retard sur ses
voisins, qu’il s’agisse de ses ennemis qatarien et iranien, ou de son
allié émirien, tous jugés meilleurs communicants que la très fermée et
très pieuse Arabie saoudite.
Sous l’égide du ministère de l’Information, «l’Arabie s’apprête à
ouvrir des unités indépendantes de ses ambassades dans huit pays à
travers le monde pour améliorer son image», confie au Figaro a
source à Riyad. Les pays ciblés sont les principaux alliés occidentaux
du royaume, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, mais aussi
la Chine et l’Inde, des marchés de plus en plus importants pour le pays,
ainsi que l’Allemagne, avec laquelle les relations sont tendues. À
Paris, une vingtaine de Français seraient recrutés, dirigés par un
Saoudien.
«Les Saoudiens se sont rendu compte que l’ancienne méthode, celle des
agences de communication ou de relations publiques, ne fonctionnait
pas, ils veulent créer quelque chose de plus robuste, explique notre
source, avec toujours le même objectif, améliorer leur image pour être
aimés.»
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En France, plusieurs agences de relations publiques, dont Havas,
travaillaient ces dernières années en direction des journalistes et de
VIP triés sur le volet – députés, anciens diplomates, etc. -, invités à
des voyages de presse dans le royaume ou au Yémen voisin où l’Arabie saoudite est embourbée depuis quatre ans dans «une sale guerre», selon l’expression de Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères.
«À l’origine, ajoute la source à Riyad, ils comptaient cibler les
médias en multipliant les partenariats avec des journaux, en achetant
des experts pour écrire des “opinions” qui leur soient favorables, mais
ils ont élargi ensuite leurs cibles aux politiques.» D’autres ministères
sont associés aux réunions préparatoires qui ont lieu actuellement à
Riyad. «L’objectif est d’acheter de la publicité, de créer des
événements politiques, de faire du buzz et d’être très présent sur
Twitter», selon notre source.
Conscient qu’améliorer auprès du grand public l’image de l’Arabie
saoudite – où une doctrine ultrarigoriste, le wahhabisme, a longtemps
sévi – était un défi quasi insurmontable, Riyad concentrait ses efforts
sur des cibles précises qu’il s’agit désormais d’élargir. Et pour ce
faire, la nouvelle Arabie du prince héritier Mohammed Ben Salman
affiche un objectif particulièrement ambitieux: acheter des journaux en
Europe, où deux pays seraient visés, la Grande-Bretagne et l’Italie.
«Pas la France, selon notre source, car ils savent que la relation avec
la France est compliquée.»
Via Saudi Research and Marketing Group, qui publie les journaux Arab Newsand Asharq al-Awsat, Riyad est entré au capital du journal britannique The Independent,
passé entièrement sur le Net ces dernières années. En janvier, un
service en arabe, turc, farsi et ourdou a été lancé, depuis Londres.
Club de football
À travers ce redéploiement, l’Arabie saoudite entend riposter à
l’offensive médiatique du Qatar, voire de son allié les Émirats arabes
unis, deux pays qui disposent d’un meilleur service après-vente que le
«royaume sacré des deux mosquées». Discrètement, les responsables
émiriens s’inquiètent de la mauvaise image de leur plus proche allié,
avec la crainte à peine dissimulée que celle-ci ne finisse par rejaillir
sur la leur. Entouré d’une armada de conseillers, américains notamment,
Mohammed Ben Salman, âgé de 34 ans, semble conscient du défi à relever.
La nomination d’ambassadeurs jeunes à Washington et à Londres
témoigne également de cette volonté d’améliorer l’image du pays. À cette
fin toujours, Riyad envisagerait d’acheter un club de football sur le
Vieux Continent, où les Émirats et le Qatar en possèdent déjà: le PSG aux mains de Cheikh Tamim à Doha, et Manchester City détenu par Cheikh Mansour Ben Zayed pour les Émirats arabes unis.
Mais, comme le remarque un diplomate français, fin connaisseur du
Golfe, «si l’Arabie n’a pas réussi jusqu’à maintenant à marketer son
image, c’est parce que le produit était difficile à vendre. Or ce
produit peut-il soudainement s’amender pour mieux se vendre?» C’est tout
le défi auquel sont confrontés les initiateurs de cette nouvelle
stratégie de communication.
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Grand reporter, specialist in the Middle East
Source: © L’Arabie saoudite tente une nouvelle stratégie de communication
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