
TRIBUNE – Le chef d’état-major des armées (Cema) invite civils et militaires à prendre la plume et à débattre. Un éveil des consciences rendu nécessaire par le nouvel environnement géostratégique.
L’honneur, le courage, le sacrifice, l’héroïsme, le sens de l’action militaire… Longtemps ces thèmes sont restés en marge de toute pensée actualisée et de toute réflexion de fond. Le traumatisme de la défaite éclair de 1940 avait marqué une première étape dans l’effacement de la parole du soldat dans le débat national. Ce phénomène a, par la suite, atteint son paroxysme avec la fin de la guerre d’Algérie, la relégation de la hiérarchie militaire et son cantonnement dans un espace limité à la technique et à la mise en œuvre.
Sous l’effet de ce «silence des esprits», les questions se rapportant au fait guerrier et à son essence se sont retrouvées hors du champ de la réflexion et de l’étude, sans qu’en soient mesurées les conséquences de long terme. Quant aux militaires eux-mêmes, résignés à la pratique d’un mutisme auquel ils avaient fini par s’accommoder avec d’autant plus de facilité qu’il comportait une part de confort, ils avaient renoncé à l’écriture, cantonnant leurs talents littéraires à la rédaction de fiches d’état-major très formatées.
« Or l’écriture, j’en suis convaincu, est une obligation autant qu’une nécessité. Il faut écrire, pour structurer ses réflexions, forger ses propres convictions et mettre de la cohérence dans sa pensée à fin d’action. »
Or l’écriture, j’en suis convaincu, est une obligation autant qu’une nécessité. Il faut écrire, pour structurer ses réflexions, forger ses propres convictions et mettre de la cohérence dans sa pensée à fin d’action. Il n’y a pas de meilleur moyen pour qui veut développer une pensée personnelle et structurée, une pensée éprouvée sur laquelle construire un raisonnement et asseoir une décision.
Faire l’impasse sur l’écriture n’est pas admissible chez ceux qui se disposent à être des chefs militaires. Je le répète, inlassablement, à chacune de mes interventions devant l’École de guerre ou le Centre des hautes études militaires. Cette exigence n’est d’ailleurs pas réservée aux seuls officiers. Dans cet esprit, j’ai toujours encouragé mes subordonnés, quel que soit leur grade, à s’astreindre à l’exercice du journal de bord personnel en opérations. Prendre le temps d’écrire, de recueillir ses impressions de tout ordre, de tirer les enseignements de la mission tout juste effectuée, de raisonner l’opération à venir, autant d’actes salutaires et indispensables pour maîtriser l’action.
L’avertissement de Liddell Hart doit, plus que jamais, nous interpeller, par-delà les murs d’enceinte des casernes et des bases: «Une armée et une société succombent plus rapidement à une paralysie du cerveau qu’à toute autre crise.» L’écriture est un antidote ; une gymnastique. Comme elle, elle peut être parfois douloureuse, souvent pénible. Il suffit, pour s’en convaincre, d’avoir accès aux manuscrits des plus grands pour réaliser, avec Churchill que «l’écriture est un tyran».
Mais l’écriture éveille la conscience, et le métier des armes ne peut être exercé sans conscience ; pas plus, d’ailleurs, que le recours aux armées. C’est la raison pour laquelle la réflexion autour du fait militaire nécessite que s’expriment des praticiens et des théoriciens venus de la société civile pour développer la réflexion sous toutes ses formes et dans toutes les dimensions.
C’est à cette seule condition que les consciences s’éveillent à la centralité des thèmes relatifs à la confrontation et au fait guerriers. Une centralité dont il faut remarquer qu’elle avait été questionnée par l’idée séduisante, mais désormais dépassée, de l’expansion inexorable et pacificatrice de l’ordre libéral et démocratique. L’illusion des dividendes de la paix a dangereusement découragé la réflexion autour de la guerre.
Discrédit jeté sur des vertus jugées désuètes
Un certain discrédit a été jeté sur des vertus jugées désuètes. On a remis en cause certains principes fondamentaux, dont ceux-là mêmes qui régissaient les relations entre les armées et la nation, entre la nation et son histoire, sans qu’une réflexion audible ne parvînt à faire valoir un avis contradictoire.
Cette forme de déni du caractère structurant de certaines valeurs incarnées par l’institution militaire, mais dont elle n’a pas le monopole, a vécu. Le président de la République, lui-même, a récemment fait l’éloge de l’héroïsme et de l’esprit de conquête.
Le contexte est, aujourd’hui, favorable au renouvellement de la pensée sur des thèmes trop longtemps négligés. L’environnement stratégique nous y invite. Le centenaire de la fin de la première conflagration mondiale nous y encourage par la mise en lumière des ressorts qui ont conduit à la victoire. À propos des maréchaux de France Fayolle, Gallieni, Lyautey et Maunoury, le général de Gaulle soulignait, il y a tout juste cinquante ans, dans son discours de commémoration de l’armistice de 1918, qu’ils étaient «de grands maîtres de l’action comme ils l’étaient aussi de la pensée».
L’action et la pensée ont définitivement partie liée. Lorsqu’elle se porte sur le fait militaire, la pensée n’a pas pour unique vocation d’explorer la conduite de la guerre. Elle permet également – et c’est peut-être la première de ses vertus – d’explorer les pistes qui permettent de l’éviter ou de la prévenir.
Source: © Général François Lecointre : «Oser écrire pour renouveler la pensée sur l’action militaire»
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