
ÉDITORIAL. Editorial du « Monde ».
Après le succès de Boris Johnson et des conservateurs aux élections législatives du 12 décembre, l’UE va désormais devoir faire face à la sortie effective des Britanniques, prévue pour le 31 janvier 2020.
Cette fois, l’Europe a vraiment perdu le Royaume-Uni. Plus de trois ans après le vote pro-Brexit au référendum, la victoire éclatante des conservateurs de Boris Johnson aux élections législatives du jeudi 12 décembre sonne comme une réplique sans appel du choix des Britanniques de quitter l’Union européenne. L’emphase du premier ministre triomphalement reconduit, revendiquant « un mandat énorme, formidable et génial » pour mettre en œuvre son slogan de campagne « Réalisons le Brexit ", n’est pas déplacée. Avec 364 sièges contre 203 aux travaillistes de Jeremy Corbyn, les conservateurs obtiennent leur plus forte majorité à la Chambre des communes depuis Margaret Thatcher en 1987.
Après des mois d’atermoiements et une inquiétante impasse au Parlement de Westminster, M. Johnson va pouvoir rapidement faire ratifier par les députés le nouvel accord qu’il a négocié avec les 27 pays de l’UE. Conformément à sa promesse, le Brexit devrait être effectif d’ici au 31 janvier 2020. En moins de cinq mois à Downing Street, il a obtenu davantage que sa prédécesseure, Theresa May, en trois ans.Article réservé à nos abonnés Read also Elections au Royaume-Uni : Johnson réussit magistralement son pari, Corbyn subit une débâcle, les leçons d’un scrutin historique
Pour la vie politique britannique, le scrutin de jeudi s’apparente à une tornade : tandis que les tories, longtemps divisés sur l’Europe, se posent en parti du Brexit, le Labour, qui n’a pas su choisir entre ses adhérents pro-européens et ses électeurs populaires pro-Brexit, essuie son plus mauvais résultat depuis 1935.
Pour le très à gauche Jeremy Corbyn, la perte massive de circonscriptions ouvrières du nord de l’Angleterre, historiquement acquises au Labour, constitue une écrasante défaite qui ouvre la question de sa succession et annonce une probable crise interne. Incapables de reconnaître que le Brexit est devenu le principal clivage politique et faute de discours clair sur l’Europe, les travaillistes connaissent leur bérézina. Tout comme les démocrates libéraux (LibDem), dont la prétention à annuler le Brexit a été perçue comme antidémocratique.
La menace de l’éclatement
L’incapacité des pro-européens à constituer un front unique apparaît d’autant plus dramatique qu’en pourcentage des voix les électeurs pro-Brexit (47 %) sont moins nombreux que le total de ceux (53 %) ayant voté pour l’un des partis favorables à un second référendum. Mais les premiers ont voté massivement pour les conservateurs, alors que les seconds sont divisés entre Labour et LibDem, SNP écossais et Verts. Implacable, le système électoral britannique à un seul tour a donné une large prime à l’unité des brexiters autour des conservateurs.
L’ouragan politique du Brexit menace désormais le pays d’éclatement : le triomphe des nationalistes écossais ouvre la voie à un nouveau référendum sur l’indépendance, immédiatement revendiqué par la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, mais jusqu’à présent refusé par M. Johnson. En Irlande du Nord, la déroute des unionistes du DUP valide la stratégie du premier ministre qui les avait lâchés, mais elle renforce les partisans de la réunification d’une île que le Brexit va isoler de la Grande-Bretagne. Premier ministre du Brexit, Boris Johnson risque d’être aussi celui d’un royaume désuni.Article réservé à nos abonnés Read also Elections au Royaume-Uni : poussées indépendantistes en Ecosse et en Irlande du Nord
Toute la question à présent est de savoir ce qu’il va faire de sa victoire. La réponse concerne d’abord les Britanniques, dont les emplois et la prospérité dépendent largement des relations avec l’UE. Fort d’un mandat clair, le dirigeant britannique voit sa position renforcée dans les négociations qui vont s’ouvrir avec les 27. Mais, entre libre accès au marché unique européen et divergences sociales, fiscales et environnementales, M. Johnson va devoir choisir. Chaleureusement félicité par Donald Trump, qui lui fait miroiter un « énorme accord commercial plus juteux (...) qu’avec l’UE ", le Britannique devra aussi opter entre le continent et le « vent du large ». Aux Européens de rester unis pour le conduire à faire « le bon choix » : préserver le maximum de liens avec ses voisins plutôt que de mettre à exécution sa menace de transformer le Royaume-Uni en un paradis du dumping aux portes de l’Europe.
Source: © Elections au Royaume-Uni : l’Europe face à la deuxième victoire du Brexit
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