«Contrairement aux élus, les électeurs qui restent à LR sont plus proches d’une ligne RN» 

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French right-wing Les Republicains’ (LR) front runner candidate for the upcoming European elections Francois-Xavier Bellamy speaks during a campaign rally ahead of the European elections on May 15, 2019 in Paris. (Photo by Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP)

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Benjamin Morel décrypte les résultats des Européennes en France.

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Benjamin Morel décrypte les résultats des Européennes en France.


Benjamin Morel est docteur en science politique à l’ENS Paris-Saclay, et chargé d’enseignements en droit public à La Sorbonne.


FIGAROVOX.- Le Rassemblement national arrive en tête des élections
européennes, d’un point devant la liste Renaissance. Quelle analyse
faites-vous de ce nouveau duopole électoral?

Benjamin MOREL.- Nous assistons en effet à la formation sur
ces élections d’un duopole. C’est assez classique sous la Vème
République. Nos institutions, notre mode de scrutin et nos mentalités
sont construits sur la base du fait majoritaire. Nous nous attendons à
avoir une majorité à qui nous demanderons des comptes et une opposition
qui, si la majorité échoue, proposera une alternative. C’est sur cette
modalité qu’a fonctionné et s’est solidifié le clivage droite-gauche.
Droite et Gauche étaient d’abord et avant tout des coalitions de partis,
catégories et intérêts sociaux permettant d’atteindre une masse
critique d’électeurs afin de constituer une majorité.

L’arrivée d’Emmanuel Macron a conduit à identifier une majorité, mais
pas encore, jusqu’à présent, une opposition. Ces élections européennes
ont permis, au moins pour l’instant, d’identifier cette opposition au
regard des électeurs: il s’agit du Rassemblement national. La plus
grande marque de ce phénomène de bipolarisation est le vote utile. Une
partie de l’électorat des Républicains, de DLF ou même de la France
insoumise a pu voter Rassemblement national pour sanctionner la
majorité. Dans l’autre sens, une grande partie de l’électorat de droite a
préféré voter directement LREM pour le soutenir contre le Rassemblement
national. C’est un fait nouveau pour le Rassemblement national et cela
laisse songer à une rebipolarisation, certes encore imparfaite, mais
réelle.

Le score relatif des Verts n’est pas si exceptionnel pour des élections européennes.

Les Verts obtiennent la troisième place, alors que deux partis
majeurs subissent une débâcle électorale: la France insoumise et Les
Républicains.

Il y a un facteur classique dans le vote vert aux Européennes. Leur
électorat, plutôt urbain, est sumobilisé lors de ces élections. Dès lors
il pèse plus que son poids démographique dans le cadre d’élections à
forte abstention. Le score relatif des Verts n’est donc pas si
exceptionnel pour des élections européennes. Ce qui est plus important,
c’est leur score en valeur absolue, car ces élections ont mobilisé. On
voit que, pour une grande partie de l’électorat de centre gauche qui ne
se reconnaît pas dans LREM, les Verts sont devenus une alternative
crédible. La question est, le restera-t-elle en dehors des élections
européennes? Pour l’instant, les écologistes n’ont jamais réussi à
transformer leurs essais marqués aux Européennes précédentes.

Les Républicains : cap au centre ? L?analyse de Vincent Trémolet – Regarder sur Figaro Live

D’où vient l’échec de la France insoumise, passée de 19,5 % à 6 %?

Il y a trois facteurs qui se conjuguent. Le premier est la faible
mobilisation de l’électorat insoumis aux élections européennes. C’est
notamment criant quand on voit l’abstention dans la périphérie de
l’Île-de-France. C’est assez classique pour cet électorat. Ça ne veut
pas dire qu’il ne sera pas au rendez-vous d’une présidentielle. Ensuite,
il y a un échec stratégique. La France insoumise a choisi une stratégie
de fédération des gauches plutôt qu’une stratégie «populiste». Cela se
ressent notamment dans la marginalisation (sans être tout à fait
abandonné) d’un logiciel plus national républicain qui avait pu marquer
le discours de Jean-Luc Mélenchon durant la campagne de 2017. C’est ce
qui lui avait permis de prendre de nombreuses voix à Marine Le Pen. Or
l’électorat populaire mobilisé ne s’est pas forcément retrouvé dans
cette nouvelle offre (ce qui n’est pas forcément le cas d’un autre
électorat, lui plus abstentionniste) et surtout il a préféré voter
contre Emmanuel Macron. Cette perte n’a, par ailleurs, pas été payée des
gains escomptés, notamment dans les centres-villes qui ont préféré
voter Verts. Il n’est pas sûr que le créneau électoral des CSP+ des
grandes métropoles soit très porteur pour les mélenchonistes. D’abord,
c’est un vote inconstant, qui peut partir vers d’autres formations de
gauche. Surtout le conquérir risque d’obliger FI à s’aliéner une partie
des classes populaires.

Les élus LR qui représentent la
principale force du parti aujourd’hui sont assez proches d’une ligne
LREM ; les électeurs qui restent à LR sont plus proches d’une ligne RN.
C’est un enfer à gérer pour toute direction de parti.

Pour LR, l’«effet Bellamy» n’en était donc pas un?

Je ne serai pas aussi dur avec la campagne de François-Xavier
Bellamy. Il y a sans doute des raisons pour lesquelles se sont trompés
les sondages sur le score de LR. Il y a eu un effet Bellamy dans
l’électorat de droite qui s’est plutôt trouvé embarqué dans cette
campagne, mais cela ne s’est pas traduit en vote. On voyait un peu cela
dans les enquêtes qui montraient une certitude de vote assez faible par
rapport à d’autres listes. L’effet Bellamy a été contré par des effets
plus forts, notamment l’effet vote utile. Pour l’électorat centriste, le
vote utile a pris le visage de LREM, pour l’électorat plus
conservateur, il a pris les atours du vote RN. De fait, en étant à la
charnière entre les deux formations qui tendent à polariser la vie
politique, LR se trouve dans une situation très difficile. La gauche est
certes divisée, mais elle a au moins plus d’air. LR doit trouver un
espace électoral entre LREM et le RN, avec un double vote utile. À cela
s’ajoute une profonde division. Les électeurs LR sont plus des
conservateurs libéraux, ses militants des gaullo-conservateurs et ses
élus des centristes orléanistes. C’est un peu caricatural, mais les élus
LR qui représentent la principale force du parti aujourd’hui sont assez
proches d’une ligne LREM ; les électeurs qui restent à LR sont plus
proches d’une ligne RN. C’est un enfer à gérer pour toute direction de
parti. LR ne peut plus être un parti «attrape-tout» comme il le fut
jadis. Le grand parti du centre et de la droite, c’est une idée morte.
Soit LR parie sur l’échec de LREM et tente de reconquérir l’électorat du
centre, soit il suit les traces de l’ÖVP ou de la CSU en mettant la
barre à droite pour récupérer le vote FN. Dans tous les cas, il faut
pouvoir incarner l’alternance, donc l’alternative, donc être dans une
opposition frontale au gouvernement. Si LR louvoie, si ses électeurs
pensent que LR fait des cadeaux au gouvernement, les centristes
préféreront voter quant à faire utiles, les autres n’y verront pas
l’alternative et préféreront le RN. Le problème est que, à la veille des
municipales, les maires LR vont avoir la tentation de faire alliance
avec LREM au vu des derniers résultats… un enfer donc de diriger LR. qui
fera l’objet pourtant de toutes les convoitises au vu de
l’affaiblissement de Laurent Wauquiez: même en enfer régner est digne
d’ambition…

Nous sommes en pleine recomposition
de champ politique, ce qui n’était pas encore le cas lors des élections
citées. Faire des prédictions pour 2022, cela relève de l’astrologie.

Comment penser cette nouvelle polarisation du vote à gauche, sans un bloc unifié?

D’abord, même si la participation est plus élevée que lors des
dernières européennes, ces élections sont quand même plus favorables au
vote centriste et au vote écologiste. Ensuite, le vote de gauche ne
représente pas une unité. Le vote vert est assez proche,
sociologiquement, du vote LREM. Le vote France insoumise est composite,
mais connaît une porosité avec le vote RN. La bipolarisation n’est pas
encore totale et les choses peuvent se transformer. Dans les 20 % de
voix non polarisées, il y a par exemple 20 % de voix divers-droites
(Républicains, UDI), dont le devenir est tout sauf évident.

Ces Européennes modifient-elles la donne pour les Présidentielle de 2022?

Elles ancrent un duel… mais soyons sérieux. 6 mois avant les
élections présidentielles de 1995 le duel annoncé était Balladur-Chirac,
6 jours avant celles de 2002 Jospin-Chirac. 6 mois avant les
présidentielles de 2007 Ségolène Royale était présidente de la
République, 6 mois avant celles de 2012, Dominique Strauss-Kahn, 6 mois
avant celles de 2017, Alain Juppé… 3 ans avant 2017, personne hors d’un
cercle restreint de spécialistes ne connaissait Emmanuel Macron. Nous
sommes en pleine recomposition de champ politique, ce qui n’était pas
encore le cas lors des élections citées. Faire des prédictions pour
2022, cela relève de l’astrologie.

Les Républicains : une mort programmée ? – Regarder sur Figaro Live


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Etienne Campion

Journaliste au Figaro


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