Conflit russo-ukrainien: Naftali Bennett maximalise l'atout de la neutralité

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L’initiative de Bennett de se rendre à Moscou l’a fait entrer dans la cour des grands

Il aura fallu près de huit mois à Naftali Bennett pour commencer à s’affranchir de celui qui a été son mentor politique, Benyamin Netanyahou. Le plus inattendu étant que l’actuel Premier ministre semble avoir réussi à se débarrasser de l’ombre massive de son illustre prédécesseur précisément sur ce qui a été le terrain de prédilection de ce dernier: la diplomatie internationale.

Un rôle de médiateur qui aurait sied à Netanyahou

Avouons-le : le rôle de médiateur dans un conflit de l’ampleur de celui qui oppose la Russie et l’Ukraine aurait pu largement revenir à Benyamin Netanyahou. Dans un passé encore récent, l’ancien Premier ministre israélien se targuait de pouvoir murmurer avec autant d’intimité à l’oreille de Trump qu’à celle de Poutine. En se rendant il y a une semaine à Moscou, Bennett a voulu prouver qu’il avait lui aussi su trouver les mots justes pour capter – pendant trois heures et en pleine guerre – l’attention du maître du Kremlin, tout en poursuivant son dialogue quasi quotidien avec Volodymyr Zelensky, et en informant de sa démarche les Américains, les Allemands et les Français! Pas mal, pour un novice en diplomatie internationale… 

D’ailleurs, le silence radio total de Netanyahou autour de la démarche audacieuse de son successeur prouve d’abord sa frustration de ne pas être actuellement aux commandes du pays, et ensuite son aveu: s’il s’était trouvé à la place de Bennett, Netanyahou aurait lui aussi agi de la sorte afin de maximaliser le statut particulier d’Israël dans cette région. Qui plus est, Netanyahou sait pertinemment que les chefs de file de l’opposition qui aujourd’hui se moquent de Bennett, auraient applaudi à deux mains si c’était lui, et non le leader de Yamina, qui avait réussi à tisser cette complexe toile diplomatique. 

Le commandant de réserve Naftali Bennett, ancien officier des commandos Matkal, est donc en train de prendre du galon. Les observateurs israéliens, même parmi les plus sceptiques, se demandent d’où il tient cette audace qui l’a conduit à frapper sans complexe à la porte de Vladimir Poutine, en plein chabbat, pour lui demander apparemment de modérer les ardeurs belliqueuses de son armée… 

 En guise de réponse, on peut avancer d’abord son caractère bien trempé qui séduit certains, mais en agace aussi beaucoup d’autres. Il y a chez Naftali Bennett un mélange de témérité, d’ambition, mais aussi d’inconscience et d’impulsivité qui peuvent expliquer une démarche aussi risquée.

Mais ce n’est pas suffisant: car derrière ces traits de caractère , se cache une véritable doctrine que le Premier ministre a soigneusement élaborée, et qui pour l’instant lui a donné pleinement satisfaction. On pourrait appeler celle-ci “la force de la neutralité”, ou encore “la puissance de l’équilibre”.  

La doctrine de Bennett: la neutralité à outrance

Cette doctrine, Bennett l’a expérimentée au lendemain des dernières élections législatives israéliennes de mars 2022. Elle consiste à éviter de prendre position et à attendre patiemment de devenir la pièce maîtresse de l’échiquier politique. Bennett est la première personnalité politique à avoir compris l’atout d’un système électoral israélien bancal. Au lieu de se cantonner à son camp idéologique, celui du nationalisme, Bennett a choisi de ne pas choisir. Si Sharon disait “La retenue, c’est la force”(à l’époque de l’Intifada), Bennett, lui, clame “La neutralité politique c’est ma force!”. Il y a huit mois, cela a marché, et c’est ainsi que Bennett est devenu Premier ministre.

Aujourd’hui, il récidive en usant de l’équilibrisme, mais cette fois sur la scène internationale: des mots de compassion, certes, envers les Ukrainiens en fuite, mais pas un zeste de critique en direction de Poutine. Comme si Israël était devenu plus neutre que la Suisse! Et on le voit, de facto: cette approche semble séduire et rassurer les présidents russe et ukrainien. Zelensky l’appelle. Quant à Poutine, il le considère comme un facteur inoffensif! A tel point que ce samedi, le président ukrainien a proposé à Poutine de le rencontrer en terrain neutre…. à Jérusalem! Incroyable mais vrai… Poutine a répondu qu’il envisagerait la chose.

Si ce sommet devait se concrétiser, Naftali Bennett en deviendrait le parrain et verrait ainsi son prestige international décupler. Ce coup d’essai diplomatique se transformerait en coup de maître et placerait Bennett dans le Top 10 des leaders occidentaux.  

Preuve qu’il a franchi ces derniers jours un palier de maturité, Bennett reste très prudent. Il évite soigneusement les fanfaronnades superflues et “oublie” de se référer à un Netanyahou qui, tellement contrarié, a fini par attraper le Covid-19…

Dans l’entourage du Premier ministre, la prudence est aussi de mise: on dément formellement qu’Israël ait déposé devant les présidents russe et ukrainien une quelconque proposition de compromis. On dément également que Bennett ait demandé à Zelensky de signer, à la demande de Poutine, un acte de reddition. Tout au plus, on affirme que le Premier ministre israélien a simplement demandé à Poutine d’évaluer la situation de manière plus “convenable”. Ce qui ne signifie pas que le Premier ministre n’ait pas réussi à établir un lien direct entre le conflit en Ukraine et l’accord de Vienne qui paraissait imminent, avant que les Russes n’exigent de pouvoir continuer à commercer avec les Iraniens même lorsque les sanctions seront levées contre ces derniers…Côté israélien, on espère que l’accord de Vienne sera finalement gelé, et si la médiation israélienne a pu d’une manière ou d’une autre contribuer à ce développement, personne ne s’en plaindra, bien au contraire.  

De facto, il est possible que les puissances occidentales aient voulu utiliser Bennett pour scruter les réelles intentions de Poutine. Après avoir eux-mêmes parlé au maître du Kremlin ce samedi, Emmanuel Macron et Olaf Scholz sont parvenus à la conclusion que le président russe semblait déterminé à poursuivre son offensive.

Bennett dans la cour des grands  

Toutefois, quoi qu’il advienne, l’initiative inédite de Bennett d’aller à Moscou rencontrer Poutine et les conversations téléphoniques qui ont suivi, ont fait pénétrer le Premier ministre israélien dans la cour des grands. Même si sa mission échoue et que la guerre se poursuit, plus personne en Occident n’osera plaisanter sur ce Premier ministre israélien qui est allé tenter sa chance en tant que médiateur. Dans la communauté internationale, Bennett sera perçu par les chefs d’Etat comme un égal que l’on se doit de considérer avec sérieux. 

Reste désormais à savoir si Bennett parviendra à traduire ce nouveau prestige international dans la difficile réalité politique actuelle d’Israël… Les prochains sondages autour de sa cote de popularité et celle de son parti seront à cet égard particulièrement révélateurs. 

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