Comprendre les mécanismes insoupçonnés de la haine

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PSYCHOLOGIE – Contagieuse, envahissante et se diffusant largement, elle est difficile à neutraliser, chez les autres… ou en soi.

Savez-vous ce qu’est une «shitstorm»? Et le «stalking», un «hater», un «troll» (*)? Tout un vocabulaire désignant des comportements haineux sur Internet. Un triste univers qui prolifère sur les réseaux sociaux.

Stéphanie
de Vanssay, professeure des écoles qui milite de façon très active sur
Twitter (dans le domaine de la pédagogie), a dû faire face à ces
torrents de dénigrement. Depuis 2013, date où des «trolls» ont commencé à
l’attaquer, elle a appris à vivre avec et publie un formidable Manuel d’autodéfense contre le harcèlement en ligne(Éd. Dunod), où elle raconte tout un monde nauséabond et les moyens de s’en libérer.

Comment
expliquer ces flots de haine? Pour le pessimiste Freud, la haine est
constitutive de la nature humaine. «La Toile ne fait que libérer de
manière abrupte ce qui bruisse dans les relations, avec aussi beaucoup
de maladresse», abonde Stéphanie de Vanssay. Cette haine sous-jacente
aux sociétés humaines, Charles Rojzman la soigne depuis quarante ans. Il
a créé la thérapie sociale, une approche transdisciplinaire qu’il
développe aujourd’hui avec ses associés Igor et Nicole Rothenbühler
(www.institut-charlesrojzman.com). Elle vise la reconstruction des liens
entre des groupes et des milieux divisés ou séparés par des préjugés,
des peurs, des violences. Au Rwanda, où les anciens bourreaux du
génocide doivent revenir dans leurs villages ; en Colombie, ou les
membres des Farc doivent collaborer avec les paysans ; mais aussi en
Suisse, aux États-Unis, en France, dans les quartiers dits «difficiles»,
les écoles, les familles, les couples…

«Internet a mis en contact des
populations qui auparavant ne se rencontraient pas.. Cela peut être une
opportunité vers plus de tolérance mais cela met aussi au jour des
frottements, des détestations.»Stéphanie de Vanssay

Charles Rojzman et ses collègues déjouent la haine d’une manière qui
semble paradoxale: en faisant se rencontrer ceux qui se détestent.
«Nous cherchons à transformer la violence qui les anime en conflit, qui
permet de faire émerger les désaccords de fond pour les traiter,
explique l’auteur notamment de Violences dans la République,
l’urgence d’une réconciliation (Éd. de La Découverte). Car si dans la
haine, l’ennemi est déshumanisé, le conflit, lui, met en lien les êtres
humains.» Ces «rencontres conflictuelles» se déroulent selon un
processus précis: «Il s’agit au départ de construire une motivation
commune et un cadre de confiance pour que les personnes puissent
transformer la haine et la violence en partage d’information. On crée
ainsi de l’intelligence collective, indispensable pour résoudre le
problème complexe qui les occupe.»

Pour la thérapie sociale,
l’objectif est de dépasser les filtres émotionnels et idéologiques, ce
qui est peu à peu possible dans une rencontre réelle, mais pas sur les
réseaux sociaux. «Sur Internet, l’anonymat et l’absence de rencontre
véritable, et le fait de rester au contraire dans son “clan
idéologique”, incitent à demeurer dans cette haine. Le meilleur rempart à
la violence est de se libérer des visions diabolisées de l’autre», note
Charles Rojzman. «Comme l’ont observé certains chercheurs, Internet a
mis en contact des populations qui auparavant ne se rencontraient pas,
ajoute Stéphanie de Vanssay. Cela peut être une opportunité vers plus de
tolérance mais cela met aussi au jour des frottements, des
détestations. Parmi les “trolls”, certains ne savent pas réguler leurs
“posts”. Quant aux pires d’entre eux, ils affirment quand ils s’excusent
qu’ils voulaient juste “faire de bons mots”, ou libérer leur cynisme au
second degré.»

La haine se nourrit d’immédiateté

Lorsque
l’on est victime d’une telle violence sur les réseaux sociaux, comment
se dégager? Jouer l’imbécile, qui ne comprend pas la remarque
humiliante ; se raccrocher à ce pour quoi on est venu sur Internet, à
ses valeurs ; écrire des réponses édifiantes aux haineux, sans les
publier ; ne diffuser que ce qu’on a envie d’y lire ; s’unir à ceux qui
nous comprennent… Autant de stratégies préconisées par Stéphanie de
Vanssay. Avec surtout la suggestion de ne pas répondre trop vite. Car la
haine, comme toute pulsion destructrice, se nourrit d’immédiateté.

Pour
la neutraliser, il faut que chacun ait le temps et l’opportunité de
comprendre cette violence qui l’agite. «Sinon, la personne reste dans sa
propagande, explique Charles Rojzman. Ce n’est qu’en l’amenant à sortir
de la victimisation tout en parlant de ses propres blessures et de la
violence qu’elle a subi qu’on la libère de cette haine qu’elle porte.»
D’ailleurs, Stéphanie de Vanssay le rappelle: «La plupart des “trolls”
ont eux-mêmes vécu, dans leur famille ou leur travail, des situations de
harcèlement.» Cela ne les excuse pas, mais peut aider à les
démystifier.

(*) «Shistorm»: littéralement «tempête de merde»,
désigne une attaque massive d’insultes et autres dénigrements en ligne.
«Stalking»: fait de traquer et espionner une personne sur la Toile de
façon maladive. «Hater»: internaute qui déteste tout et tout le
monde.«Troll» : internaute qui empoisonne les débats avec des remarques
inappropriées ou provocantes.


«Se demander pourquoi on a autant besoin de haïr» 

Psychiatre
et psychanalyste, Didier Lauru est membre de l’association de
recherches freudiennes Espace analytique. Il a notamment écrit De la
haine de soi à la haine de l’autre (Éd. Albin Michel).

LE FIGARO. – Avant la haine, vous aviez écrit sur l’amour. Pourquoi ce changement de perspective?

Didier Lauru.
Didier Lauru – Crédits photo : Didier Lauru

Didier LAURU. – Quand j’écrivais sur l’amour, je retombais
toujours sur la haine. Dès l’Antiquité, le philosophe grec Empédocle
notait que ces deux sentiments sont indissociables, comme les deux faces
d’une même médaille. Pour Freud, la haine est antérieure à
l’attachement: le bébé perçoit d’abord l’univers extérieur comme
menaçant, agressif, et ce n’est qu’avec la répétition des gestes
nourriciers et contenants qu’il se construit et peut éprouver de
l’amour. D’ailleurs dans certaines séparations, la similarité des deux
sentiments frappe aux yeux: certains se mettent à haïr l’autre autant
qu’ils l’ont aimé… Lacan avait un néologisme pour expliquer cela :
«l’hainamoration».

La haine est même souvent plus durable que l’amour…

Certaines
haines durent même à vie: dans les familles, entre enfants et parents,
frères et sœurs… La haine peut être tellement vive et intense qu’on sent
bien que de l’amour en fait partie. Le lien affectif perdure à travers
elle et les personnes ne parviennent pas à passer à autre chose. Au
niveau collectif, on ne peut que constater que les luttes fratricides et
les guerres ont toujours existé. Cette violence est au cœur même de la
nature humaine.

Comment la repérez-vous chez vos patients?

Le
plus souvent, ils arrivent en disant : «J’ai eu une enfance tout ce
qu’il y a de banale.» Mais en creusant, on perçoit que certaines
rivalités dans la famille ont été fortes, que certains parents étaient
détestés. Très vite aussi, la répétition de cette haine s’installe dans
le transfert. Les patients se mettent à nous parler avec agressivité, de
manière assez irrationnelle. Cela demande au psychanalyste beaucoup de
vigilance et de délicatesse: il faut à la fois accepter ce flot agressif
et en faire quelque chose, sinon le patient risque d’arrêter
brutalement son analyse. Nous devons lui faire entendre que cette
agressivité s’adresse en réalité à quelqu’un d’autre.

Quelle est la spécificité de ce sentiment si archaïque?

Il
faut bien sûr tenir compte d’une certaine graduation: il y a la colère,
l’agressivité, et au plus fort la haine qui est une volonté d’attaquer
l’autre et symboliquement, de le tuer. Les liens d’amour cherchent à
unir et construire, la haine souhaite les détruire. De plus, elle est
contagieuse. Elle envahit l’esprit de celui qui l’éprouve comme de celui
qui en est l’objet. C’est un peu comme si l’on était bombardé par le
psychisme de cet autre qui nous déteste. On se retrouve atteint, et il
est difficile de s’en dégager. Ce que ne comprennent pas ceux qui vous
disent «débranche, oublie». Ce n’est qu’en parlant, en élaborant en soi
pour mieux se défendre, que l’on peut éventuellement passer à autre
chose.

Et quand on est celui qui éprouve de la haine?

Il
s’agit de se demander pourquoi cet autre haï occupe autant notre
psychisme. Pourquoi a-t-on autant besoin de le détester? Souvent cela
n’a rien à voir avec des raisons rationnelles. Mais la rivalité et
l’envie font le lit de cette haine. Freud parlait du «narcissisme des
petites différences» à propos de peuples qui ont presque la même
origine, la même langue mais se haïssent pour se démarquer. Au niveau
individuel, c’est pareil: l’autre est presque identique à moi mais il a
juste «un peu plus», alors je le hais.

Comment s’en sortir?

Par
la culture, qui nous donne des représentations de la haine, comme dans
les tragédies grecques, pour nous en libérer. Seules la capacité à la
débusquer, à la voir en face et la catharsis émotionnelle peuvent faire
reculer la haine.


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Pascale Senk

Journaliste


Source:© Comprendre les mécanismes insoupçonnés de la haine

One Response to "Comprendre les mécanismes insoupçonnés de la haine"

  1. Et si...   25 février 2019 at 16 h 03 min

    Bullshit!

    Une seule façon de combattre ces haineux est une plainte pénale!

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