ÉDITORIA DU MONDE. Miser sur une collaboration possible avec l’armée pour mener la Birmanie sur la voie du développement économique et de la paix interne était audacieux. Aung San Suu Kyi a surestimé la capacité des militaires à évoluer.
Editorial du « Monde ». La voie était trop étroite. Le pari fait en 2015 par Aung San Suu Kyi, celui d’une collaboration possible avec l’armée pour mener la Birmanie sur la voie du développement économique et de la paix interne, a échoué lundi 1er février lorsque son principal partenaire, le général Min Aung Hlaing, chef de l’armée, a rendu aux militaires la totalité du pouvoir, à la faveur d’un coup d’Etat. Assignée à résidence chez elle, à Naypyidaw, la capitale administrative, « Daw Suu », comme l’appellent les Birmans, a retrouvé un régime qu’elle connaît bien, pour l’avoir expérimenté dans sa maison de Rangoun pendant plus de quinze ans, entre 1989 et 2010. La plupart de ses alliés civils ont également été arrêtés.
L’armée birmane a ainsi brutalement mis fin, le jour même où le nouveau Parlement, élu en novembre, devait se réunir, à l’expérience démocratique tentée il y a cinq ans. Après avoir remporté les élections à la tête du parti NLD, la Ligue nationale pour la démocratie, en 2015, Aung San Suu Kyi avait dû s’accommoder de la Constitution birmane, qui réservait à l’armée 25 % des sièges au Parlement. En vertu de ce texte façonné par les militaires, elle-même ne pouvait prétendre à la présidence, ayant été mariée à un étranger. A l’époque icône de la défense des droits de l’homme, Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi prit le titre de « conseillère d’Etat », qui lui donnait le rôle d’un premier ministre.
Défi aux militaires
Ce premier mandat a été marqué par d’inévitables concessions à ses encombrants partenaires. La plus grave l’a conduite à accepter l’expulsion par les militaires de centaines de milliers de musulmans Rohingya vers le Bangladesh et le massacre de quelque 10 000 d’entre eux en 2017. Son silence face à ces exactions massives puis son refus de réfuter les accusations de génocide devant la Cour internationale de justice à La Haye en 2019 l’ont déconsidérée aux yeux de l’Occident, qui l’a vue renier ses idéaux démocratiques.
Femme à la volonté de fer, peu ouverte à la critique, Aung San Suu Kyi répond alors à ses détracteurs occidentaux qu’elle n’est pas une icône et qu’elle fait de la politique. Elle-même Bamar, de l’ethnie majoritaire, elle consolide l’ancrage de la NLD dans la population. De fait, aux élections suivantes, le 8 novembre 2020, le parti remporte 82 % des sièges ouverts au vote.
Instigateur du coup d’Etat et nouvel homme fort, Min Aung Hlaing est un nationaliste ultra-conservateur, un populiste qui a exploité le sinistre nettoyage ethnique des Rohingya dont il porte la responsabilité. Déjà visé par des sanctions américaines, il renoue avec la triste tradition de la dictature militaire en Birmanie, qui n’a jamais été capable de mettre fin aux conflits avec les ethnies insurgées. Le pari de « Daw Suu », fille du général Aung San, fondateur de l’armée birmane indépendante assassiné, était audacieux. Pour avoir surestimé la capacité des militaires à évoluer, elle l’a perdu, sacrifiant au passage son aura de défenseuse des droits de l’homme.
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