«Big Business» N°3 - Coronavirus: les quatre questions économiques de l’après crise

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LETTRE EXCLUSIVE ABONNÉS – Le confinement du pays bouscule nos repères et pétrifie l’économie.

Quand au téléphone, mon directeur de la rédaction m’a dit la semaine dernière que Le Figaro «Et vous» devenait Le Figaro «Chez vous», j’ai cru à une blague. Et puis le lendemain, en ouvrant l’édition du jour, j’ai compris qu’ils l’avaient vraiment fait. «Ils», c’est-à-dire les quelques-uns qui sont physiquement présents à la rédaction pour piloter la fabrication de votre quotidien. Les autres, et en particulier la plupart des journalistes comme moi, sommes à distance, en télétravail. Comme des millions de Français et des dizaines de milliers d’entreprises, Le Figaro a radicalement changé son fonctionnement – et a transformé son offre avec ce «Figaro chez vous» dont je vous recommande la lecture.

Le télétravail n’est cependant qu’un bouleversement presque anodin par rapport à tout ce qu’induit la restriction de notre liberté de déplacement dans le cadre du confinement. Chacun est marqué à sa façon par cet événement inédit. Pour ma part, j’ai été percutée par le sentiment d’avoir changé de monde au moment où je me suis trouvée dans une de ces files d’attente organisées à l’entrée d’un supermarché.

Les files d’attente organisées devant un supermarché Casino.
Les files d’attente organisées devant un supermarché Casino. Eric Gaillard / REUTERS

Il n’y a pas de pénurie. Aucune mesure de rationnement, évidemment considérée quand les Français se sont rués pour faire des stocks de pâtes, de papier toilette et de litière pour chats, n’a été décidée. Le circuit de la distribution et toute la chaîne agroalimentaire s’adaptent et se réorganisent. Le paradoxe de cette situation, c’est que le rationnement ne s’impose pas aux biens physiques mais … à internet ! Netflix et YouTube réduisent leurs flux. Disney +, sur la demande insistante de Bruno Le Maire, a reporté de deux semaines son lancement en France qui devait intervenir ce mardi. Le débat sur la neutralité du net rebondit : dans l’hypothèse d’une saturation des réseaux, faudra-t-il donner la priorité d’accès à certains usages (télétravail, télémédecine…) et restreindre les contenus futiles (vidéo, jeux …)? Pour l’heure, a assuré le PDG d’Orange Stéphane Richard à Elsa Bembaron, «les réseaux vont tenir».

Plongée dans l’inconnu

L’exécutif a fait entrer les Français dans le confinement par étapes, au fil des allocutions d’Emmanuel Macron le 12 et le 16 mars et d’Édouard Philippe le 14. Sur le terrain économique aussi, la descente s’est faite par paliers successifs mais rapprochés. C’est une plongée en eaux profondes.

Il y a dix jours, avant le confinement, on pouvait encore espérer une année neutre en termes de croissance en France (contre +1,3% anticipé). La semaine dernière, le gouvernement a ajusté sa prévision à -1% pour 2020 dans le cadre du projet de loi de finances rectificative destiné à valider une garantie d’État de 300 milliards sur les crédits bancaires. On appelle cela une «hypothèse conventionnelle». La réalité sera bien plus sombre. Les économistes font tourner leurs modèles qui peinent à appréhender une situation aussi anormale qu’inédite. Comme l’explique Eric Chaney, dans une note publiée le 18 mars par l’Institut Montaigne, «on peut estimer la baisse du PIB chinois au premier trimestre 2020 par rapport au dernier trimestre 2019 entre 10 et 15%». En extrapolant ce retour d’expérience chinois, cela signifie «une baisse d’activité en France de 12% au deuxième trimestre» et une contraction sur l’année «de l’ordre de 5%». Il y a dix jours, j’avais interrogé Christophe Barraud, le prévisionniste de Market Securities. Il envisageait encore, avant le confinement, une «petite chance» que la croissance française sur l’année 2020 ne tombe pas dans le rouge. Je l’ai rappelé lundi. Il estime désormais que la récession pourrait atteindre 6,8 %, avec pour hypothèses la fin du confinement le 1er mai. La zone euro serait selon lui à -5,8%, les États-Unis à -4,8%, le monde à -2,1%.

Les chiffres sont vertigineux. Les données américaines nous apprennent que, déjà, le chiffre d’affaires de la restauration aux États-Unis a baissé de 83%! Goldman Sachs anticipe désormais un repli du PIB américain au deuxième trimestre de … 24%. C’est simple : on n’avait pas connu cela depuis la Seconde guerre mondiale.

Penser l’après

De quoi demain sera-t-il fait ? Sur le terrain économique, je diviserais la question en quatre points.

1. Quel scénario pour le redémarrage ? Cette question-là est cruciale puisqu’elle détermine ce que nos économies «récupéreront» ou non du trou d’air créé par les mesures de confinement. Et cela dépend d’une part, de la durée de cette phase de restrictions dans un but sanitaire, et d’autre part de l’ampleur de la «casse» que le confinement aura provoqué dans l’appareil productif. Chaque fournisseur qui flanche aujourd’hui met en péril les chaînes d’approvisionnement de demain et peut prolonger l’arrêt de l’activité très au-delà de la période de confinement. D’où la nécessité de maintenir un maximum d’entreprises en activité, même si c’est au ralenti. D’où, aussi et bien sûr, l’utilité des programmes massifs de soutien qui sont débloqués partout dans le monde par les gouvernements. Mais la reprise dite «en V», caractérisée par un fort rebond de l’activité dès la fin de la crise sanitaire, est loin d’être acquise. En Chine, par exemple, les ventes automobiles sont toujours en retrait de 44% (chiffre de la deuxième semaine de mars).

2. Les finances publiques absorberont-elles le choc? Selon une note d’UBS publiée en fin de semaine dernière, les mesures annoncées par les différents États représentent déjà l’équivalent de 2% du PIB mondial. C’était avant que l’Allemagne ne décide un nouveau plan massif. En France, le gouvernement a, pour le moment, engagé des mesures dans deux directions avec une garantie de 300 milliards d’euros sur les nouveaux crédits bancaires, et un plan de soutien de 45 milliards d’euros (financement du chômage partiel et aide aux entreprises les plus directement touchées par le confinement comme le commerce non alimentaire et la restauration). Les textes ont été votés en urgence au Parlement en fin de semaine. Mais la facture sera à coup sûr beaucoup plus élevée. La valse des milliards de ces derniers jours est fascinante. Les repères d’hier ont disparu. Nous étions effarés de notre niveau de dette publique à 100% du PIB avant l’épidémie. Nous serons peut-être à 150% après. Cette «guerre» sanitaire pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron suppose un effort de guerre, c’est-à-dire la répartition de l’effort. Il faut y penser dès maintenant. L’économiste Thomas Philippon a développé sur Twitter un argumentaire intéressant en prévision des sauvetages d’entreprises qui s’annoncent. Partout en effet, des nationalisations sont envisagées, et le gouvernement français s’y prépare. Mais l’intervention du contribuable doit viser la préservation des entreprises, et non celles de leurs actionnaires et créanciers.

3. La zone euro résistera-t-elle? La panique qui gagnait les marchés financiers a été enrayée par la décision de la Banque centrale européenne de lancer un programme d’achats d’actifs de 750 milliards d’euros dans la nuit du 18 au 19 mars. Un mouvement que la présidente de la BCE a expliqué dans une tribune. C’est un répit. Cela fait cher le répit, mais ce n’est que cela. La cohésion de la zone euro est en effet plus durement éprouvée encore que pendant la crise des dettes souveraines de 2010-2011. Les Pays-Bas et l’Allemagne digèrent mal le bazooka de la BCE. L’Italie est au bord de l’asphyxie.

4. Quel nouvel ordre mondial? Cette question est posée par Bruno Le Maire, dans un entretien au Figaro.

Qui peut penser une seconde que le monde ne changera pas après une crise de cette ampleur? Pour le pire: montée des nationalismes, poussée des régimes autoritaires, affaiblissement des Occidentaux au profit de la Chine. Ou pour le meilleur: mise en place d’une gouvernance mondiale plus efficace, comme cela avait été le cas après la Seconde Guerre mondiale.Bruno Le Maire

Le ministre s’inquiète évidemment de cette diplomatie du masque développée par la Chine de Xi Jinping, et expliquée par notre correspondant Sébastien Falletti. Dans quelques semaines, quand les États-Unis seront l’épicentre de l’épidémie tandis que l’Europe, espérons-le, commencera à voir le bout du tunnel, c’est peut-être Pékin qui proposera au Vieux continent un plan Marshall !

Source:© «Big Business» N°3 – Coronavirus: les quatre questions économiques de l’après crise

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