
TRIBUNE – Volontaire ou non, la stratégie des «gilets jaunes» a inversé la pyramide de la légitimité : leur colère, réelle, en vient à rappeler implicitement, par un effet de jeux de miroirs déformants, l’isolement sociologique originel du macronisme.
La révolution par l’image arrive à petits pas. Ce ne sont pas les pavés, ni les barricades,
encore moins l’immensité des foules qui aujourd’hui constituent la plus
grande menace pour le pouvoir. Ce sont les images et la guerrilla
communicante que lui impose les «gilets jaunes». L’homme né par et de la
com’ a trouvé dans la com’ effervescente des «giletistes» un adversaire
redoutable qui réimpose la figure du peuple comme acteur politique
conscient de sa force .
Première manifestation de cette prise de conscience , le refus d’opérer une mobilisation sur le Champ-de-Mars ,
espace dont le volume constituait à n’en pas douter un piège pour la
représentation à venir de la journée. Les «gilets jaunes» ont décidé de
converger vers les Champs-Élysées, long courant urbain qui de l’Étoile
conduit aux avenues du pouvoir. Le cœur battant de celui-ci a apporté
mécaniquement, souci d’ordre public aidant, une réponse qui
métaphoriquement a enfermé l’Élysée en forteresse assiégée, barricadée,
vidée de toute chaleur un tant soit peu compréhensive.
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Sur
les réseaux sociaux , dès potron-minet, circulait la carte du périmètre
de sécurité enveloppant les hauts lieux de la République dans un no man’s land,
symbole d’un isolement, d’une coupure sur-signifiante entre l’exécutif
et le peuple. Cette image d’un État retranché, assiégé en disait plus
long sur la drôle de révolte que nous vivons que tous les argumentaires
potentiellement portés par les oppositions. La macronie en était comme
rendue à s’enfermer sur elle-même.
Volontaire ou non, la
stratégie des «gilets jaunes» a inversé la pyramide de la légitimité:
leur colère, réelle, en vient à rappeler implicitement, par un effet de
jeux de miroirs déformants, l’isolement sociologique originel du
macronisme. L’inconscient ne parle pas, il travaille: c’est ce labeur
indicible qu’a projeté explicitement la topographie des événements en ce
début de matinée du 24 novembre jusqu’à ce que surgissent sur le
théâtre des opérations urbaines les confusions inhérentes aux éruptions
mobilisatrices.
L’usage de mots porteurs d’un sens
anachroniquement historique pour rendre compte de la situation visait à
déconstruire la légitimité du mouvement.
Paris, destination du cœur le plus actif du mouvement «giletiste» a
d’abord concentré toute la lumière médiatique d’une mobilisation par
construction polycentrique, au risque d’occulter les points de fixation
qui n’ont pas manqué de se développer ailleurs en province. C’est bien sur la scène parisienne que s’est joué la partie de cette seconde journée nationale de mobilisation des «gilets jaunes» .
Les
images continues et chaotiques des tensions sur les Champs-Élysées
n’ont de sens immédiat qu’au regard de la distance qu’on leur oppose.
Leur immédiateté suscite un effet d’optique qui occulte ce
qu’historiquement l’expérience du passé nous enseigne. Rares, voire
inexistantes sont les mobilisations sociales sans impact sur l’ordre
public. Celle-ci n’échappe pas à la règle: elle n’est pas exceptionnelle
– et mieux: relativement contenue au regard d’épisodes passés , au
demeurant eux-mêmes encadrés par des militants professionnels. C’est
plus la visibilité immédiate du désordre que le niveau réel de celui-ci
qui vient nourrir au risque de les enflammer les perceptions de
l’événement.
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Les
chaînes infos, les réseaux constituent un forum à ciel ouvert où
l’instantanéité charge les émotions et survitamine l’hyper-réactivité.
En boucle, les séquences se nourrissent de leurs propres effets de
miroirs, boursouflant, à n’en pas douter, les grilles de lectures des
commentateurs et acteurs. C’est dans cet interstice émotionnel qu’a
voulu s’engouffrer le ministre de l’Intérieur en cherchant à imposer à
la mi-journée une représentation de la situation dont l’objectif
consistait à relativiser la force mobilisatrice des gilets, à l’associer
peu ou prou au Rassemblement national de Marine le Pen et à dramatiser
l’instant en recourant à la rhétorique quasi-criminalisante de la «sédition», comme si la République, subitement, était en danger.
Le choix d’une sorte d’«agit-com» un brin provocante, l’usage de mots porteurs d’un sens anachroniquement historique pour rendre compte de la situation visait à déconstruire la légitimité du mouvement, comme pour en appeler à un sursaut d’un éventuel et hypothétique parti de l’ordre susceptible de venir contrecarrer un prurit prétendument ‘’factieux”. Au désordre de la rue, le pouvoir a répondu par un désordre communicant, alternant faux calme, hystérisation de la sémantique et sur-scénarisation dramatisante des clivages politiques. Une fois les images décantées, c’est le sentiment d’une impasse périlleuse qui risque de s’installer. Les «gilets jaunes» ont déjà réussi à devenir un symbole. C’est à ce symbole qu’une majorité de Français semble déléguer le pouvoir de mieux se faire entendre de Monsieur Macron…
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Arnaud Benedetti
Source :© Benedetti : les «gilets jaunes» sur les Champs-Élysées, «l’agit-com» de Castaner dans l’impasse
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