Depuis l’attentat de Conflans, l’organisme mis en place en 2013 est sous le feu des critiques, notamment de proches de Manuel Valls.
Le gouvernement est-il sur le point de changer de ligne sur la laïcité ? Et, pour symboliser ce renversement, veut-il transformer l’Observatoire de la laïcité et congédier ses responsables, son président Jean-Louis Bianco et son rapporteur général Nicolas Cadène ? L’entourage de Jean Castex a fait savoir, mardi 20 octobre, que cette question est aujourd’hui posée, après des années de tensions entre les tenants de différentes orientations sur le sujet.
« La volonté du premier ministre est de renouveler [cette] instance afin qu’elle soit davantage en phase avec la stratégie de lutte contre les séparatismes », a indiqué Matignon. Le premier ministre recevra Jean-Louis Bianco « dans les tout prochains jours » pour « lui faire part de la décision du gouvernement ». On sera alors fixé sur le sort de cet organisme public annoncé par Jacques Chirac en 2003, décrété par Nicolas Sarkozy en 2007, mis en place en 2013 seulement par François Hollande, et qui est rattaché à Matignon pour conseiller le gouvernement et lui faire des propositions.
La bataille se joue en coulisses. L’assaut a été lancé par les partisans d’une laïcité de combat, qui voudraient étendre l’exigence de neutralité religieuse à l’espace public. Parmi eux figurent en bonne place des proches de l’ancien premier ministre Manuel Valls, qui ont fait un retour marqué, ces derniers mois, à des postes de responsabilité de l’appareil d’Etat. Ce courant n’a jamais supporté la conception de la laïcité portée par l’Observatoire, celle d’une laïcité considérée comme la juste application d’un cadre juridique libéral dont la loi de séparation des Eglises et de l’Etat a posé les fondements en 1905. A l’époque où Manuel Valls était premier ministre, il avait d’ailleurs vivement critiqué à plusieurs reprises l’Observatoire, son président et son rapporteur général, jugés trop laxistes, voire complaisants, face aux atteintes à la laïcité.
L’alerte est partie d’un article du Point qui, dimanche soir, affirmait que le remplacement de Nicolas Cadène était « acté ». Dans cet écho, « un proche [non identifié] de Marlène Schiappa », ministre déléguée chargée de la citoyenneté, accusait le rapporteur général d’être « plus préoccupé par la lutte contre la stigmatisation des musulmans que par la défense de la laïcité » et de « s’affiche[r] et discute[r] » avec le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), que Gérald Darmanin veut dissoudre après la décapitation de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 16 octobre. La source souhaitait que la « laïcité d’apaisement » cède la place à « de vrais laïcs ». « Il n’est plus crédible », tranchait ce censeur de l’ombre.
Soutiens d’horizons variés
Le coup était d’autant plus inattendu que, la semaine précédente, le rapporteur général avait eu plusieurs réunions de travail, en bonne intelligence, avec les cabinets de Marlène Schiappa et Gérald Darmanin, et que l’Observatoire avait participé à la rédaction du projet de loi sur les séparatismes. En outre, le mandat des dirigeants de l’Observatoire s’achèvera en avril 2021. Précipiter la relève juste après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine peut laisser entendre que l’on considère que la ligne de l’Observatoire de la laïcité y est pour quelque chose.
La menace sur l’Observatoire actuel a mobilisé des soutiens venus d’horizons variés. Un communiqué commun à la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme et la Fédération nationale de la libre pensée a mis en avant « les actions pédagogiques » de l’Observatoire. De fait, à côté des guides pratiques rédigés pour des secteurs très variés, l’organisme public a déployé une activité constante de formation d’agents publics et parapublics à la laïcité, sur tout le territoire. Plus de 350 000 agents de terrain ont été « formés ou sensibilisés » ces dernières années.
De leur côté, une vingtaine d’universitaires, spécialistes renommés de la laïcité ou du fait religieux, ont écrit à Emmanuel Macron pour apporter leur « total soutien » à Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène et à leur « travail salutaire ». Philippe Portier, Jean Baubérot, Valentine Zuber, Jean-Paul Willaime et d’autres représentent des « courants variés » de la recherche. Ils demandent que le travail de MM. Bianco et Cadène soit soutenu « contre les injustes attaques et les tentatives de déstabilisation » venant « entre autres de courants identitaires » qui font « de la laïcité un catalogue d’interdits, oubliant qu’elle est d’abord un système de libertés ».
« Nous ne sommes pas des pétitionnaires nés. Mais là, c’est un mauvais coup qui est fait à l’idée même de laïcité, s’insurge Franck Frégosi, l’un des signataires. La situation est suffisamment tendue et inflammable pour ne pas allumer un nouvel incendie. » « La laïcité des origines est libérale, elle articule des libertés, celles de croire et de ne pas croire, insiste Philippe Portier. Alors que ce qui se met en place ces dernières années, c’est une laïcité d’idéologie qui vise à neutraliser les espaces intermédiaires. Elle insiste sur le fait que le religieux, surtout musulman, doit disparaître de l’espace social, ce qui n’a jamais été voulu par les pères fondateurs. Bianco a fait son travail. »
Source:© Attentat de Conflans : pourquoi Matignon veut « renouveler » l’Observatoire de la laïcité
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