
ANALYSE – Au terme d’un travail de sape mené méthodiquement, Emmanuel Macron s’ouvre la voie pour avancer sans résistance dans son projet de réforme de l’audiovisuel public. Mais l’équation délicate posée par la nomination des dirigeants, mise en lumière par l’épisode Gallet, n’a toujours pas été résolue.
Quoi de mieux pour imposer sa vision que de décrédibiliser celle de son prédécesseur? En poussant le CSA à démettre Mathieu Gallet, le PDG de Radio France élu à l’unanimité quatre ans plus tôt, mais condamné en première instance pour favoritisme, Emmanuel Macron démontre les limites du pouvoir de nomination conféré à l’autorité de l’audiovisuel par François Hollande. Et le feuilleton n’est peut-être pas encore terminé. Si Mathieu Gallet fait appel de la décision du CSA auprès du Conseil d’État et qu’il obtient gain de cause, on pourrait se retrouver mi-2018 avec deux PDG de Radio France: le nouveau, qui sera désigné par le CSA, et l’ancien, qui réintégrera son poste. Deux papes pour un même trône. Cette ficelle a déjà été utilisée par Philippe le Bel pour affaiblir le pouvoir temporel de l’Église.
Il faut résoudre une équation très délicate : tenir les rênes courtes des PDG tout en leur assurant une grande autonomie vis-à-vis du pouvoir politique
Au point où en sont les choses, Emmanuel Macron s’évite un débat long et houleux sur la nécessité de réformer le mode de nomination des PDG de l’audiovisuel public et d’imposer un big bang des entreprises qui le composent. Le travail de sape a été mené méthodiquement. Premier round: en septembre, l’État coupe dans les budgets des sociétés de l’audiovisuel public, affaiblissant au passage l’autorité de leurs dirigeants. Deuxième round: Emmanuel Macron fait savoir qu’à ses yeux, «l’audiovisuel public est la honte de la République», achevant de les déstabiliser. Troisième round: le gouvernement obtient du CSA qu’il révoque l’un d’eux, tétanisant les trois autres. Mathieu Gallet étant K.-O. et le CSA dans les cordes, Delphine Ernotte, Marie-Christine Saragosse et Laurent Vallet n’ont plus envie d’en découdre. Désormais, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, peut tranquillement dérouler sa feuille de route: faire voter, d’ici à la fin de l’année 2018, une loi confiant le pouvoir de nomination des PDG de l’audiovisuel public aux conseils d’administration des sociétés, puis imposer la création d’un holding commun à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA.
Cette fois sera-t-elle la bonne? La question de la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public n’a jamais trouvé de réponse satisfaisante. Car il faut résoudre une équation très délicate: tenir les rênes courtes des PDG, tout en leur assurant une grande autonomie vis-à-vis du pouvoir politique. Trois présidents de la République successifs ont pensé avoir trouvé la formule magique. Nicolas Sarkozy a estimé qu’il fallaiten finir avec les hypocrisies et les jeux d’ombre en s’octroyant lui-même le pouvoir de nomination. C’était clair et direct, mais à l’usage contre-productif. Jean-Luc Hees, homme de gauche, a passé cinq ans à se défendre auprès des salariés de Radio France d’avoir été nommé par un président de droite. Et Rémy Pflimlin a été privé, pour la même raison, d’une partie de son autorité sur les troupes de France Télévisions. François Hollande a pris le contre-pied, en confiant au CSA le soin de nommer en toute indépendance les patrons du service public. Idée séduisante, mais tout aussi inopérante. Le CSA a nommé des hommes et femmes qui, ensuite, se sont retrouvés sans défense face à l’État, unique actionnaire et unique décideur en matière budgétaire. Aujourd’hui, Emmanuel Macron pense qu’il faut confier ce pouvoir aux conseils d’administration. Comme dans n’importe quelle autre entreprise. Mais il va se retrouver face à une contradiction. Si le service public adopte les codes du privé, il risque de perdre ses missions spécifiques et de brouiller encore plus son image auprès des téléspectateurs. Or ces derniers sont aussi des contribuables qui doivent s’acquitter de la redevance.
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