A Portland, les « antifas » à l’assaut de la police après qu’elle a abattu l’un des leurs

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Manifestants anti-violences policières et forces de l’ordre se font face, le 4 septembre à Portland (Oregon). CAITLIN OCHS / REUTERS

 

Michael Reinoehl était soupçonné d’avoir tué un militant d’extrême droite, le 29 août. La ville s’attend à de nouvelles manifestations, samedi, pour le 100e jour de mobilisation contre les brutalités policières.

L’accalmie a été de courte durée à Portland. Lundi, 95e jour de la mobilisation antiraciste, avait vu une manifestation et quelques feux de poubelles devant la résidence du maire, le démocrate Ted Wheeler, accusé de complaisance envers les militants d’extrême droite venus deux jours plus tôt défiler avec armes et pick-up dans le fief de Black Lives Matter (BLM), en plein centre-ville. Mardi et mercredi, un calme relatif était revenu.

Jeudi et vendredi, les « antifas » sont de nouveau partis à l’assaut des forces de l’ordre pour venger la mort d’un de leurs camarades, Michael Reinoehl, tué par la police près de Lacey (Etat de Washington), à deux heures de route de Portland. Et la ville s’attend à de nouvelles manifestations samedi, le traditionnel week-end de Labor Day coïncidant avec le centième jour de protestations dans une ville qui détient maintenant le record de mobilisation contre les brutalités policières.

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Reinhoehl, 48 ans, était soupçonné du meurtre d’Aaron Jay Danielson, 39 ans, un membre du groupuscule d’extrême droite Patriot Prayer, tué d’une balle dans le torse le 29 août après la manifestation motorisée de partisans de Donald Trump. Le drame avait marqué une nette escalade dans la tension qui règne à Portland depuis la mort de George Floyd, le 25 mai, à Minneapolis.

Vendredi, Facebook et Instagram ont fermé le compte de Patriot Prayer et de son fondateur Joey Gibson, conformément à leur pratique de « bannir les milices violentes de [leurs] plates-formes ». Basé à la lisière de l’Oregon et de l’Etat de Washington, le groupe ne s’était pas manifesté publiquement avant l’élection de Donald Trump.

 

Présence d’arme non confirmée

 

Dès le lendemain de la fusillade, les réseaux sociaux de droite avaient diffusé le nom du suspect et sa photo, affirmant qu’il était l’homme en tee-shirt blanc et casquette noire que l’on aperçoit sur les vidéos amateurs approchant Aaron Danielson, lequel semble agiter une bombe lacrymogène. Son profil avait été décortiqué, et ses proclamations politiques portées à charge (« Je suis 100 % “antifa” », déclarait-il en juin), de même que ses confrontations précédentes avec les forces de l’ordre, notamment son arrestation le 5 juillet pour possession d’une arme à feu chargée. Quelques heures avant le dénouement, Donald Trump avait lui-même réclamé des têtes. « Pourquoi la police de Portland n’arrête pas celui qui a tué de sang-froid Aaron Jay Danielson ? Faites votre job, et faites-le vite. Tout le monde sait qui est ce voyou. »

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Sentant que l’étau se resserrait, le militant d’extrême gauche – un ancien militaire reconverti dans le snowboard, et père de deux enfants – avait donné une interview au site Vice News. Il y reconnaît implicitement avoir tiré sur le militant trumpiste, qui était armé selon lui, tout en se déclarant en légitime défense. « Ils allaient tuer un ami à moi, un homme de couleur. Je n’avais pas le choix. »

L’unité de la police spécialisée dans la recherche de fugitifs l’a localisé dans un quartier résidentiel de cette ville au sud de Seattle. Elle a essayé de l’interpeller alors qu’il sortait d’un appartement pour se diriger vers une voiture. Il a été abattu par quatre policiers. Selon la police locale, il était armé mais la présence de l’arme n’a pas été confirmée.

Le ministre de la justice, William Barr, a publié un communiqué se félicitant de « l’élimination d’un dangereux agitateur » dont la localisation avait pu être déterminée grâce à la coopération entre polices fédérale et locale. « Un succès significatif dans l’effort actuel pour restaurer la loi et l’ordre à Portland et dans d’autres villes », a vanté le ministre.

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Dans le downtown de Portland, épicentre d’une protestation antiraciste qui a dégénéré en affrontement entre l’extrême gauche et la police, autant qu’entre les « antifas » et l’alt-right, les inscriptions ont fleuri. « Michael was murdered », lisait-on ici ou là. Les amis présentent le militant comme un fidèle, l’un de ceux qui avaient suivi la formation à la « désescalade » des conflits dispensée par le service d’ordre. Vendredi, les activistes avaient délaissé le palais de justice du downtown pour se rassembler devant le siège du syndicat de police dans le nord de la ville.

 

« Chacun a son martyr »

 

Prises à partie par Donald Trump, les autorités locales ont jusqu’à présent été incapables d’enrayer l’engrenage répression-manifestations. Après la mort d’Aaron Danielson, la gouverneure démocrate Kate Brown a présenté un plan pour restaurer l’ordre public. Elle a demandé l’aide des comtés voisins (majoritairement républicains), qui, sans surprise, la lui ont refusée, au motif que le procureur de Portland ne poursuit pas suffisamment sévèrement les auteurs de violences.

La gouverneure a donc annoncé le déploiement de State Troopers, la police de l’Etat. Une solution moins inacceptable pour les protestataires – dont la mobilisation avait été relancée en juillet par l’intervention d’agents fédéraux envoyés par M. Trump – mais qui permettrait d’appliquer aux « casseurs » les critères fédéraux de poursuites. « Il semble que nous n’ayons pas les lois ou les mesures qui empêcheraient ces groupes de poursuivre ce genre d’activisme », note la professeure d’études afro-américaines de l’université de Portland Shirley Jackson, en déplorant que les revendications de BLM soient « détournées » par un mouvement « dont les buts ne sont pas clairs mais qui ont plus à voir avec l’opposition au gouvernement qu’avec la justice raciale ».

« Honnêtement, je déteste dire cela, mais je vois une guerre civile qui nous attend », Michael Reinoehl, l’« antifa » abattu par la police dans une interview

Le professeur de science politique Chris Shortell regrette, lui, que la police ait « laissé la violence se développer » depuis des années entre les groupes extrémistes ennemis. Les partisans de Donald Trump projetaient un nouveau rassemblement samedi à la mémoire de leur ami Aaron Jay Danielson. Puis un autre le 26 septembre.

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« Chacun des camps a maintenant son martyr », déplore Randy Blazak, sociologue, spécialiste des mouvements d’extrême droite et président de la Coalition contre les crimes de haine qui regroupe les associations et les forces de l’ordre. Dans sa dernière interview, Michael Reinoehl se montre pessimiste : « Honnêtement, je déteste dire cela, mais je vois une guerre civile qui nous attend. » Assis à une terrasse inondée du chaud soleil de fin d’été, Randy Blazak se surprend à opiner : « Il y a des raisons de penser que c’est vers cela qu’on se dirige. »

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